4 solutions pour le café Robusta d’Afrique : une industrie 4.0, l’eau, le politique, le privé

 4 solutions pour le café Robusta d’Afrique : une industrie 4.0, l’eau, le politique, le privé
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Démystifier la qualité du café“. Tel était le thème du premier d’une série de webinars organisé mercredi dernier par le Centre du commerce international (CCI), l’agence conjointe de l’Organisation mondiale du commerce et de la Cnuced, en partenariat avec l’Agence des café Robusta d’Afrique et de Madagascar (Acram). Ce webinar, qui met le focus sur la filière du café Robusta en Afrique, s’inscrit dans le cadre du programme de l’ITC “‘Alliances for Action” démarré en 2017 par la plateforme mondiale des donateurs pour le développement rural.

Une chute de 62% de la production en 20 ans

Tout d’abord, que représentent les pays membres de l’Acram dans le monde du café ?  Le constat dressé par Ismaël Ndjewe, secrétaire exécutif de l’Agence, est douloureux : les volumes de  l’Acram représentent peu de chose sur la scène mondiale, voire sur la scène africaine du café et cette place ne cesse de décliner depuis une vingtaine d’années. Les pays membres de l’Acram représentent 0,5% de la production mondiale de café et 4,6% de la production africaine de café.

Sur le seul segment des Robusta, la production de l’Acram représente 1,26% de la production mondiale, ayant enregistré une baisse de 62% de volume de production entre 1999/00 et 2018/19. “L’effondrement des cours mondiaux amène à s’interroger sur la  résilience des producteurs de l’Acram à se maintenir sur le marché à plus long terme“, souligne le responsable.

                      

Il ne faut cependant pas être pessimiste. Entre 1999/00 et 2018/19, les exportations de l’Acram auraient grimpé de 56%, mais on demeure sur des volumes très faibles : en 2018/19, sur les 109,41 Ms de cafés exportés à travers le monde, 39 Ms étaient du Robusta dont seulement 2,5 Ms (2,27%) venaient des pays membres de l’Acram. Idem pour la consommation intérieure. Elle est, certes, en très forte hausse, de 127% sur 20 ans, mais n’est que d’environ 1 Ms en 2018/19. Surtout, depuis le début des années 2000, la consommation intérieure des Robusta de l’Acram stagne, voire régresse. Pourtant, le marché est bien là car, comme le précise encore Ismaël Ndjewe, 67% de la production africaine de café, Robusta et Arabica confondus, sont consommés sur place, en Afrique.

Face à ce constat plutôt inquiétant, serait-ce la qualité des Robusta africains qui fait défaut ? A priori non, déclare le responsable de l’Acram qui rappelle la valeur ajoutée des terroirs et les nombreux prix remportés par des Robusta de l’Acram dans le cadre des concours organisés notamment par l’Agence pour la valorisation des produits agricoles (AVPA) basée à Paris. “Faut-il se dire que les Robusta sont de moins bonne qualité que les Arabica ? Nous pensons que non donc il faut que nous arrêtions cette conception que les acteurs se font du Robusta. A l’autre question : les Robusta sont-ils des cafés de mauvaise qualité ? Nous disons aussi non. Tout est question de préparation, de suivi en plantation puis en post-récolte pour que le café soit de bonne qualité. Donc les Robusta de l’Acram, mieux valorisés, garantiraient un café de meilleure qualité qui n’aurait pas à rougir devant les autres cafés.”

Une volonté politique

Mais pour reconquérir des parts de marché, ce n’est pas qu’une question agronomique ou de vulgarisation ou encore d’économie. Il s’agit aussi, voire surtout, d’une volonté politique, précise Ismaël Ndjewe, répondant à Denis Seudieu, chef économiste à l’Organisation internationale du café (OIC). :”L’Acram  est en train de se déployer pour faire des plaidoyers auprès des décideurs car dans plusieurs de nos pays, la relance du secteur caféier repose sur la volonté des politiques, des institutions publiques en charge de la filière café. C’est là où l’Acram est appelé à interpeler les décideurs. Et elle peut le faire d’autant plus facilement qu’au sein de l’Acram, plusieurs membres sont les gestionnaires des ces filières dans leurs pays respectifs. Ensemble, on peut ramener le café à jouer un rôle considérable dans les économies de nos pays.

Un argument repris par John Schluter, fondateur et directeur exécutif de Café Africa, qui a souligné “le désengagement politique des pays producteurs et le manque d’investissements depuis 20 ans. 2001-2002-2003… on était tombé à $ 400 la tonne de café Robusta rendu Europe ce qui n’était pas possible pour les producteurs. Cela  a beaucoup découragé la filière en Afrique et il y a eu un désengagement des gouvernements qui sont allés vers d’autres cultures pérennes comme l’huile de palme, le cacao ou encore le pétrole.

La productivité et le secteur privé, préalables à la qualité

Ceci dit, il serait une erreur fondamentale de se focaliser sur le seul aspect politique, publique, pour développer le Robusta africain. Car, pour John Schlutter, avant de parler de qualité, il faut parler productivité (notamment par rapport aux concurrents que sont le Vietnam et plus encore le Brésil) et si on parle productivité, il faut parler secteur privé.

Reprenons  son argumentaire. “Pourquoi insister sur la productivité avant de parler de la qualité ? Pour moi, pour parler de la qualité, on a besoin du secteur privé. Et si on n’a pas les volumes de café pour rentabiliser l’investissement du secteur privé, on n’aura pas la possibilité et la capacité de produire de la qualité.” C’est au secteur privé à multiplier  les variétés, à investir dans la qualité par la voie sèche ou humide, dans le séchage là encore de qualité et non à même le sol. Or, “le secteur privé ne pourra pas le faire s’il n’a pas des volumes ce qui nécessite des investissements notamment dans la durabilité, la certification, qui ouvrira la porte à des marchés de niche.” La pièce se joue à trois acteurs -l’Acram, les Etats et le secteur privé- mais dont il faut répartir, clairement, les rôles.

Une solution : l’industrie 4.0 du café en Afrique

Il faut aussi travailler sur la chaîne de valeur du Robusta africain, plaide à son tour Chahan Yeretzian, directeur du Coffee Excellence Center de Zurich University of Applied Sciences. Entre autres éléments, il suggère, très concrètement, deux actions. D’une part, créer en Afrique des chaînes d’intégration verticale sur la base de l’industrie 4.0, c’est-à-dire où convergent l’industrie et le monde du numérique. “Il s’agit de créer une industrie 4.0, de créer des fabriques où le café vert entre d’un côté et ressort de l’autre en café torréfié emballé ou moulu. On travaille en Afrique les intégrations verticales. Cela créé de la transparence, de la cohérence, de la qualité. Cela réduit les coûts et accroît l’homogénéité“, souligne le scientifique.

Se libérer des standards sur l’eau

Il propose aussi de revisiter les critères de fabrication dans la chaîne du café, notamment l’utilisation de l’eau. L’activité de l’eau dans la caféiculture est souvent pris en compte en regardant son incidence sur la constitution de moisissures dans le café. Mais il y a aujourd’hui un aspect très important dans l’activité de l’eau dans le café c’est la formation de l’arôme dans la torréfaction. Cet aspect est toujours négligé.” Actuellement, précise-t-il, le standard pour la teneur en eau dans le café est de 11%.

Pourquoi ? Parce qu’on veut réduire la formation de moisissures pour le stocker. C’est donc un standard. Mais ce standard est peut-être bien pour limiter la formation de moisissures mais il n’est pas optimal pour la formation de l’arôme pendant la torréfaction. Ce qui signifie qu’on créé un standard qui est peut-être bien pour le stockage et le transport mais qui n’est peut-être pas forcément bien pour la formation de l’arôme pendant la torréfaction, tout simplement parce que les pays d’origine ne torréfient pas eux-mêmes. Parce qu’ils doivent stabiliser le café avant le transport car l’arôme est créé après, dans les pays de consommation. Si les pays producteurs pouvaient torréfier directement après la récolte le café à des teneurs d’humidité plus hautes, il s’ouvrirait des potentiels parce qu’ils pourraient torréfier à des teneurs de 13 ou 14% et créer de nouveaux arômes plus intenses, plus concentrés, et de nouveaux profils, ce qui créerait de nouveaux marchés pour les pays producteurs.”

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