Le partenariat public-privé au coeur du développement de l'agriculture africaine
L’Afrique sera le grenier du monde
(22/06/08)
L’Afrique a besoin de produire plus d’aliments, tant pour elle-même que pour le monde. C’est un enjeu planétaire et un défi face à des décennies d’échecs de promotion de l’agriculture sur le continent. Le secrétaire général des Nations Unies, Ban ki-Moon, a récemment estimé que la production alimentaire mondiale devrait augmenter de 50% d’ici 2030 pour couvrir les besoins. Et l’Afrique peut-être ce grenier.
Comment faire ? Schématiquement, en stimulant les partenariats public-privé (PPP) et en raisonnant en terme de chaîne de valeurs (« value chain »), du producteur au consommateur, peut-on en déduire de la conférence organisée par EMRC au siège de la FAO à Rome, du 18 au 20 juin autour du thème : « L’industrie agro-alimentaire comme moteur de croissance en Afrique ».
Des débats intensifs, de hauts niveaux, se sont tenus autour de personnalités venus du monde des multinationales comme Heineken, Olam, Monsanto, Yara, Land O’Lakes, Guinness, etc., des représentants du monde public et privé d’une bonne quinzaine de pays africain (la plupart des membres de la délégation sénégalaise n’était pas présente car ils n’ont pas pu obtenir de visas …), des fondations comme Bill and Melinda Gates, des banques come Rabobank, Crédit Agricole, BNPParibas, des chercheurs notamment de Columbia University, sans oublier des représentants de la FAO, du Fida, de la SFI, laissant toutefois une large place aux rencontres B2B entre opérateurs.
Le problème n’est pas financier
Globalement, pour développer l’agro-alimentaire en Afrique, le problème n’est pas financier car à travers le monde, il y a largement assez d’argent disponible. Toute la question, a-t-il été une fois de plus répétée, est d’avoir de bons projets et, par delà, des projets qui conduisent au développement. « Il n’y a pas toujours de corrélation positive entre croissance et développement », a fait remarquer Ilan Bijaoui, directeur de l’International Business & Innovation Institute en Israël. Et aujourd’hui, malgré des taux de croissance élevés en Afrique, « l’évolution du développement n’est pas dans la bonne direction. »
Pour qu’il y ait véritablement développement, il faut trouver des modèles d’industrialisation adéquates. En réalité il faut en trouver trois, distincts, collant aux trois économies qui coexistent en Afrique car « elles ont parfois des intérêts opposés » : l’informelle, qui représente 70% de l’économie, a-t-il rappelé, l’économie formelle et l’économie liée aux multinationales présentes sur le continent.
Dans cette réflexion sur une nouvelle approche pour développer l’agriculture, une chose est certaine : elle doit collée aux réalités du terrain et être multifacettes. Franz Fischler, ancien commissaire européen à l’Agriculture, président d’Ecosocial Forum Europe et invité d’honneur à la conférence, considère l’approche régionale comme étant la plus pertinente. Parallèlement, un certain consensus se dégage autour de la pertinence de l’approche du microcrédit car il se révèle efficace (Daniel Kalbassou, directeur général du Crédit du Sahel au Cameroun, déclare un taux de remboursement de 98% dans les milieux ruraux), d’une collaboration accrue avec les ONG et autres acteurs proches du terrain. Une proximité qui permet de mieux appréhender les dimensions de sécurité alimentaire, sécurité écologique, tout en mesurant l’impact économique et social. Car ces différents volets doivent être pris en compte si l’on veut qu’un projet, qu’un investissement, soit durable. « Un partenariat privé-public (PPP), aussi bon soit-il, ne transformera jamais un mauvais projet en un bon projet », selon Kevin Cleaver de l’IFAD.
Trouver un modèle
Les résultats médiocres du développement agricole en Afrique ont rendu les experts modestes. Rustom Masalawala, du Earth Institute à l’Université de Columbia, invoquant le Millenium Village Project sur lequel il travaille, a souligné les résultats fabuleux auxquels le projet était parvenu dans les 10 villages et 14 clusters développés en Afrique. Mais il se demande, très ouvertement, si ces projets pourront être érigés en modèles et être répliqués, permettant de dégager des avancées notables.
Peut-être est-ce là, d’ailleurs, que le bât blesse : la nécessité pour les bailleurs et les spécialistes, de vouloir à tous prix trouver un modèle, une solution miracle, multipliable à l’envie, conduit à des généralisations qui se heurtent aux nécessités de développer des solutions taillées sur mesure et durables.
Témoins de l’efficacité de ces PPP (partenariat public-privé), différentes grandes entreprises présentes y sont allées de leur témoignage. La Fondation Rabobank, par exemple travaille avec des ONG qui fournissent aux paysans des crédits, leur permettant de s’organiser en coopératives afin de vendre, les uns des farines de soja noirs à Unilever, d’autres du coton bio à Mark & Spencer. Travaillant en même temps avec l’aval et l’amont, l’opération est sécurisée car le débouché commercial est assuré et le producteur sécuriser.
De son côté, le géant mondial des intrants agricoles, le danois Yara, ne peut pas à ce jours envisager la construction d’une usine de production en Afrique car la taille du marché ne le permet pas : l’Afrique consomme en moyenne 7kg d’engrais à l’hectare par an contre 150 kg en Asie, par exemple. L’économie d’échelle n’est pas encore là. Du moins pas encore. D’où la décision de l’entreprise d’investir plutôt dans les services et les infrastructures afin de s’assurer que les engrais et autres intrants parviendront correctement aux producteurs. Il investit dans les ports tanzaniens car ceux-ci ne parviennent à faire rentrer qu’une tonne d’engrais par jour alors qu’un port efficace à un rendement quotidien de 5 à 6 t. « Pour développer l’agriculture, il faut des semences, des engrais et de l’irrigation », rappelle Sean de Cleene. Mais il faut les fournir de façon intelligente et ne pas recommencer l’erreur des années 70 de le faire à coup de subventions. Il faut, estime-t-il, un cadre public-privé. Au Malawi, la politique de subvention (aidé par une bonne pluviométrie) a donné des résultats impressionnants : dépendant à 45% de l’aide alimentaire pour couvrir ses besoins, le pays est aujourd’hui auto-suffisant. Mais comment pérenniser ce succès en passant progressivement du système des subventions à une logique commerciale ? Pérenniser est aussi la clé du vrai succès du projet pilote riz au Ghana développer par TechnoServe.
Heineken, pour sa part, constate que 40% du coût de ses matières premières au Malawi provient des coûts de transport. Il veut donc sourcer localement ces matières premières. Au Sierra Leone, l’entreprise a donné une valeur ajoutée considérable au sorgho en l’utilisant pour la fabrication de sa bière.
Bref, les expériences se multiplient au sein desquelles entreprises multinationales parviennent à entrer dans un partenariat « gagnant-gagnant » avec les producteurs, du moins avec les organisations de producteurs. Il ne s’agit plus d’opposé les intérêts des deux mais de les conjuguer.
Une série d’articles et d’interviews liés à cette conférence suivront au fil des prochains jours.