Bernard Crémieux, Neumann Kaffe : Un voyage dans le monde très étonnant du café Robusta

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Pour Bernard Crémieux, directeur général de Bero Coffee Singapour, filiale de l’allemand Neumann Kaffee Gruppe (NKG), le Robusta joue un rôle majeur et croissant sur la scène mondiale caféière. Certains pays comme le Vietnam, le Brésil, l’Inde, l’Indonésie ont su en tirer partie grâce à des rendements et des qualités qui ont fortement monté en gamme au fil des années. L’Afrique, en revanche, hormis l’Ouganda, a perdu sa place. Il importe pour le continent de la retrouver vite pour ne pas laisser passer une opportunité majeure sur ce marché du café, tant à la production qu’à la consommation. Et ce, sans négliger ou mépriser aucun segment : le soluble a le vent en poupe et pour le fabriquer il faut du Robusta. La plus petite machine à café au monde, c’est la petite cuillère ! Quand on fait bouillir de l’eau, c’est autant pour du thé que du café. A l’inverse, le très valorisé espresso italien a besoin de Robusta. Le Robusta est donc à la fois un produit, un ingrédient et surtout la première porte d’entrée vers la consommation de café.

Nous reprenons ci-dessous in extenso l’analyse du spécialiste Bernard Crémieux lors de la série de webinars organisés cet été par le Centre du commerce international (CCI) basé à Genève et l’Agence des cafés Robusta d’Afrique et de Madagascar (Acram).

 

Le groupe Neumann est le plus grand négociant de café au monde avec plus de 4000 clients torréfacteurs et 2200 personnes qui travaillent pour nous. Nous représentons à peu près une tasse de café sur 10, soit environ 10% de la demande mondiale et 5,5% de l’exportation mondiale. En 2018, nous avons vendu plus de 15 millions de sacs de 60 kg (Ms) et l’année dernière, plus de 17 Ms. Environ 15% de notre café répond aux exigences du développement durable certifié.

Le groupe Neumann est un peu partout dans la chaîne d’approvisionnement. Nous avons nos propres fermes au Brésil, au Mexique ou encore en Ouganda. Nous finançons les fermiers auxquels nous achetons du café comme au Vietnam et en Indonésie, nous le transformons, nous l’exportons, etc. Nous avons aussi des sociétés un peu partout à travers le monde qui importent du café que ce soit en Italie, en Allemagne, en France, etc. Nous fournissons aussi des services additionnels pour nos clients.

J’aimerais vous inviter à faire un voyage dans le monde très étonnant du Robusta. J’ai démarré ma carrière dans le café il y a 40 ans avec mon père qui était président de l’Association française du café et qui était un grand courtier en Robusta. Il commerçait exclusivement du café de ces fameuses anciennes colonies françaises tels la Côte d’Ivoire, le Cameroun, Madagascar. Comme j’étais un jeune courtier, je pensais savoir mieux que tout le monde et j’essayais de le persuader de faire évoluer notre activité vers l’Arabica car j’étais persuadé que le Robusta ne durerait pas très longtemps.

La production de Robusta augmente plus vite que celle d’Arabica

Je ne pouvais pas imaginer que la production de Robusta augmenterait plus vite que celle d’Arabica. Je ne pouvais pas non plus imaginer qu’en seulement quatre décennies, la part du Robusta passerait de 24% à 42% de la production mondiale de café.

Dans les années 80, personne ne pensait que la production de Robusta passerait d’environ 17 Ms à plus de 70 Ms en moins de 40 ans. Le Vietnam n’était même pas sur la scène dans les années 80. La Côte d’Ivoire était alors le plus gros producteur de Robusta. Et qui se souvient de l’importante place  du Cameroun, du Zaïre de l’époque -l’actuelle RD Congo, de Madagascar, des Philippines, de l’Angola. Ces pays étaient parmi les 10 premiers producteurs de Robusta. Personne ne se souvient aujourd’hui que l’Angola produisait du café.

L’ascension du Vietnam a été incroyable. Il a doublé sa production, passant de 14 Ms à près de 30 Ms en seulement 15 ans après avoir doublé de 7 à 14 Ms les cinq années précédentes. Ce qui explique que la progression de la production de Robusta soit essentiellement le fait de l’Asie, en particulier du Vietnam.

Même si l’Ouganda a progressé, le principal déclin vient de l’Afrique

Le Brésil a également doublé sa production de conilon au cours des 15 dernières années. Dans l’intervalle, même si l’Ouganda a progressé, le principal déclin vient de l’Afrique. Ce n’est pas une bonne ou mauvaise nouvelle, c’est simplement la réalité : la production mondiale de Robusta augmente alors que la participation de l’Afrique diminue.

Sur les 45 Ms supplémentaires qui ont été produits depuis les années 90, 28 Ms sont venus du Vietnam, 15 Ms du Brésil et seulement 2,5 Ms d’Indonésie. Le Vietnam et le Brésil ont simultanément augmenté leur production et leur parts dans l’approvisionnement mondial en Robusta. Le Vietnam représente aujourd’hui 40% de la production globale de Robusta, loin devant le Brésil et ses 28% et l’Indonésie avec 10%. L’Inde et l’Ouganda ont également augmenté leur production mais ont réduit leur part globale. La Côte d’Ivoire a été en constant déclin.

La différence vient de la productivité, non du prix du café

Comment expliquer que certaines origines ont pu se développer alors que d’autres sont restées inchangées, voire ont décliné ? Les raisons sont multiples mais l’une des principales est la productivité. Le rendement mondial de Robusta est d’environ 35 sacs de 60 kg par hectare, soit plus de 2 tonnes. Si on regarde la moyenne mondiale en retirant le Vietnam et le Brésil, on tombe à 10 – 15 sacs/ha soit environ 600 à 700 kg. L’augmentation de la productivité au Brésil et au Vietnam ces dernières années a entrainé une baisse des coûts de production et, par conséquent, une plus grande rentabilité pour les producteurs. L’Indonésie -et c’est assez curieux- produit du café sur environ 1 million d’hectares alors que le Vietnam en produit sur à peine 650 000 ha. Donc la surface plantée ne veut rien dire; c’est la productivité qui importe. 

La productivité varie selon les espèces de caféiers plantées, la qualité des sols, l’irrigation, le climat, les soins apportés à sa plantation, à ses caféiers, etc. mais aussi le soutien des investisseurs et surtout le soutien des gouvernements et des autorités locales.

C’est le Robusta qui mène le marché

L’évolution de la demande mondiale montre que le Robusta est devenu le moteur. La croissance annuelle moyenne de la demande en Robusta ces dix dernières années a été de 3% contre 1,9% pour l’Arabica. Face à cela, la production augmente de 1,8%, soit à un rythme beaucoup plus rapide que la production d’Arabica. Ceci est probablement liée à la compétitivité des prix du Robusta qui a attiré de nouveaux consommateurs, d’abord dans les pays producteurs, puis dans les pays émergents. La consommation de café au Vietnam est devenu quelque chose de très important et représente environ 10% de la production ; il en est de même en Indonésie, au Brésil et dans le reste des pays émergents.

Donc on a vu une évolution très importante de la demande avec de nouveaux consommateurs, ce qui  explique pourquoi la demande en Robusta a beaucoup plus vite augmenté que celle d’Arabica.

Les exportations de Robusta ont également fortement augmenté, beaucoup plus que l’exportation de café Arabica lavé et naturel. La première exportation mondiale de café sont les Robusta, puis l’Arabica lavés et après les Arabica naturels. Et la tendance de la consommation des Robusta est à la hausse et celle des Arabica à la baisse.

Quels sont les principaux consommateurs de Robusta ? L’Afrique est un gros consommateur de Robusta : 60% de la demande est pour du Robusta et elle est en hausse sur tout le continent. L’Afrique est en pleine évolution, notamment en Algérie et dans tous les pays d’Afrique du Nord.

En Asie, la hausse annuelle de la demande pour du Robusta est quasiment de 5% et en Amérique du Nord de près de 3%. Pour autant, aujourd’hui, en Amérique du Nord, le Robusta ne représente qu’un tiers de la consommation mais la demande croît plus vite pour le Robusta que l’Arabica.

Les producteurs importent aussi

Il est intéressant à noter qu’il y a des producteurs qui ne font pas que consommer leur propre café, comme c’est le cas au Brésil ou au Vietnam, mais en importent. Par exemple, le Mexique est aujourd’hui un énorme importateur de Robusta même s’il exporte de l’Arabica; les Philippines qui étaient un producteur de Robusta et d’Arabica dans le passé, importent aujourd’hui du café. L’Inde importe du Robusta et en consomme ; il en importe aussi pour le transformer en café soluble qu’il réexporte. Le Vietnam, quant à lui, exporte vers l’Inde, l’Indonésie, l’Equateur, la Chine (qui produit également de l’Arabica), le Mexique, la Thaïlande, tous producteurs de café.  

Le Robusta, ingrédient et produit à part entière

Mais le Robusta n’est pas seulement du café bon marché pour faire du café soluble. Le Robusta c’est également un produit à part entière. Et de plus en plus. Un espresso italien sans Robusta n’est pas un vrai espresso car c’est le Robusta qui donne cette crème. C’est le Robusta qui donne un peu d’amertume au café et le lait sur un espresso créé cet excellent contraste. Une capsule sur deux de Nespresso contient du Robusta. Le Robusta est donc un produit à part entière mais aussi un ingrédient. L’Ouganda et la Tanzanie sont les principales origines utilisées par la torréfaction qui utilise le Robusta comme un ingrédient.

Mais chaque origine de Robusta a ses spécificités et le fait que le Robusta évolue aussi dans le sens d’un vrai produit n’est pas quelque chose d’anodin. Derrière une origine, il y a un produit. Le Robusta américain c’est le Brésil principalement qui a un goût particulier sans beaucoup de corps alors que les cafés ougandais et tanzaniens sont des très hauts de gamme dans la tasse, avec beaucoup de caractéristiques positives. Le café d’Inde a un côté un peu boisé, un peu épicé. Le café indonésien a beaucoup de corps, avec aussi un caractère très épicé. Le Vietnam a plus un gout de céréale, un peu différent, plus léger.

On pourrait dire, de façon générale, que les cafés Robusta africains sont en haut de l’échelle de qualité dans la tasse. Mais chaque torréfacteur fera son mélange. Le torréfacteur va  trouver dans les cafés asiatiques plusieurs possibilités pour améliorer sa tasse. Le Brésil n’est pas un café extraordinaire avec un fort goût de céréale mais c’est un café que l’industrie aime bien car il donne un excellent rendement pour les cafés instantanés. Mais la tasse est très particulière.

Producteur et exportateur de café soluble

Revenons un peu sur les chiffres. Le Vietnam représente en moyenne 60% des exportations mondiales de Robusta. C’est le Robusta par excellence pour l’industrie de la torréfaction. En comparaison, le Brésil est un café qui s’exporte mais qui est surtout intéressant pour la torréfaction locale, même si on a vu que le Robusta brésilien va de plus en plus vers les Etats-Unis et l’Europe.

Il est intéressant de regarder aussi la manière dont le café est exporté, que ce soit de manière soluble ou comme produit fini ou comme café vert. Aujourd’hui, de plus en plus de pays producteurs exportent du café de façon soluble. Le plus gros exportateur de soluble reste le Brésil suivi de l’Inde et du Vietnam. Mais le Vietnam progresse très rapidement comme d’autres pays producteurs. Au Vietnam, en l’espace de quelques années, on a vu des exportateurs locaux devenir des producteurs de café soluble. Mais il y a aussi des torréfacteurs qui sont venus s’installer : ils achètent le Robusta localement, le transforment et l’exportent. Aujourd’hui, 20% des exportations mondiales de café sont sous forme de soluble. Nestlé achète du café localement et l’exporte comme Capral en Côte d’Ivoire. Nous avons aussi l’indien Tata ou encore CCL qui est aussi installé au Vietnam.  L’industrie vient au Vietnam car la main d’œuvre n’est pas très chère et les gens travaillent beaucoup : on va au Vietnam pour transformer le café local et l’exporter sous forme soluble.

En outre, le Robusta attire aussi beaucoup de spéculateurs et de business ; il est traité comme une commodité sur les marchés financiers de matières premières.

La plus petite machine à café au monde c’est la cuillère

Dans le groupe Neumann, nous sommes convaincus que la demande en Robusta va continuer de croître car la population augmente. Et  la première façon d’entrer dans le monde du café c’est par le café soluble : la plus petite machine à café au monde c’est tout simplement la petite cuillère ! Le café soluble est la façon la plus facile de consommer du café. La Chine consomme de plus en plus de café mais du café soluble car quand on prépare de l’eau bouillante pour le thé, on la prépare aussi pour du café soluble.

Donc le Robusta est la première porte d’entrée vers la consommation de café. Ensuite, les gens évoluent : du Robusta, ils passent à l’Arabica, du soluble à l’espresso, au café latté, cappuccino, etc..

Le deuxième challenge -et là je m’adresse plus aux producteurs- c’est la productivité, ce n’est pas le prix. Le marché est haut, il est bas, il change mais le vrai revenu pour le fermier c’est la productivité. Alors que des pays produisent 500 kg/ha, le Vietnam produit en moyenne 2,5 t/ha avec des producteurs qui atteignent 8 t/ha même les mauvaises années ; la productivité est le secret. C’est le secret vietnamien : régulièrement, on arrache des arbres, on en met de nouveaux, des arbres résistants et le Robusta est … robuste !

Troisièmement, la traçabilité, la durabilité, c’est l’avenir. Aujourd’hui, il ne faut pas se leurrer : les torréfacteurs veulent connaître de A à Z  la chaîne de valeur. Ils veulent la transparence, savoir ce qui se passe du fermier à la tasse de café.

Enfin, il y a quelque chose d’essentiel et en Côte d’Ivoire ou au Cameroun, on connait bien la question : la sécurité alimentaire. Aujourd’hui, l’Europe a mis en place toute une régulation sur l’utilisation du glyphosate et d’autres contaminants comme les herbicides, insecticides et autres pesticides. Alors, tout d’abord, il existe d’autres produits, d’autres insecticides. D’autre part, il faut être capable d’utiliser ces produits mais de façon raisonnable, avec parcimonie, distinction. Une des difficultés du Brésil est qu’ils utilisent beaucoup trop de glyphosates et ils sont souvent au-delà des limites autorisées par l’Union européenne. C’est une opportunité pour l’Afrique.

Enfin, les Robusta fins, de qualité sont une autre opportunité. Les consommateurs sont de plus en plus exigeants et connaisseurs. Et le Robusta a toute sa place dans certaines préparations. 

Dans le groupe Neumann, on croit fortement au Robusta et ces dernières années on a renforcé nos investissements. On croit aussi que l’Afrique a de l’avenir, que la demande de café continuera de s’accroître et qu’on aura besoin de plus de café, de plus de Robusta pour les nouveaux consommateurs. Un Robusta qui réponde à un certain nombre de critères. Il faut être optimiste mais réaliste.

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