Joseph Owana Kono, Afruibana : « Nous avons aussi tenu à rappeler à l’Europe que la banane est un produit extrêmement important pour nos économies »

 Joseph Owana Kono, Afruibana : « Nous avons aussi tenu à rappeler à l’Europe que la banane est un produit extrêmement important pour nos économies »
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A l’initiative de l’association panafricaine Afruibana, les producteurs de bananes des pays ACP ont lancé l’Appel d’Abidjan appelant l’Union européenne à mettre en place un nouveau mécanisme de régulation du marché européen et un programme d’accompagnement des producteurs. Un appel lancé alors que l’aide européenne va prendre fin dans quelques mois (lire L’Union européenne arrêtera son appui à la filière banane en Afrique). Joseph Owana Kono, président d’Afruibana, répond aux questions de CommodAfrica.

Les producteurs de bananes des pays ACP ont lancé vendredi dernier en Côte d’Ivoire l’Appel d’Abidjan, quelle est la teneur de cet appel ?

Il s’inscrit dans des accords successifs sur la banane qui tournent autour du système de préférence que l’Europe avait mis en place pour protéger les bananes originaires des pays Afrique Caraïbes Pacifique (ACP), ses fournisseurs traditionnels. Aux termes de accords de Genève qui consacrent la fin de la guerre de la banane (Lire : L’UE et les pays d’Amérique latine signent un accord sur la banane), l’Union européenne a donc conclu un accord avec les Etats-Unis et les pays d’Amérique Latine, au terme duquel ont été mis en place des barrières tarifaires qui allaient progressivement être démantelées. Nous avons malheureusement constaté que l’Europe a multiplié les accords bilatéraux avec ces pays et donc procédé de manière extrêmement rapide au démantèlement des barrières tarifaires. Par exemple, en 2019 nous aurions du nous retrouver à €114 la tonne de tarif douanier appliqué aux exportations en provenance des pays latino-américains et nous sommes en réalité à €75 la tonne. Nous avons donc saisi l’Europe à travers la plate-forme Afruibana pour qu’elle ne descende pas au dessous du niveau actuel de barrière tarifaire qui est de €75 la tonne. C’est le premier point.

Le deuxième point est de mettre en place un mécanisme de sauvegarde, de stabilisation du marché. Sur le marché européen, l’offre est chroniquement supérieure à la demande. Or, un marché qui n’est pas régulé s’effondre au niveau des prix. Le mécanisme mis en place pour protéger les bananes communautaires et ACP n’a donc jamais été appliqué, a été inopérant ou trop lourd. Nous pensons donc que nous pouvons mettre en place un mécanisme beaucoup plus transparent et beaucoup plus souple. Le troisième point que nous réclamons est de prendre des mesures d’accompagnement pour permettre aux bananes de nos origines de continuer à améliorer leur compétitivité. Voici les trois points principaux. Mais, nous avons aussi tenu à rappeler à l’Europe que la banane est un produit extrêmement important pour nos économies dans la mesure où cette industrie est pourvoyeuse d’emplois car grande consommatrice de main d’œuvre, qu’elle génère des devises mais aussi qu’elle fixe les populations dans les zones rurales et participe ainsi à limiter les migrations. Nous avons dit ce que nous avions dans le ventre mais c’est ce qui se fait entre amis. Nous ne sommes pas des ennemis de l’Europe. Au contraire, mais il faut parfois se dire des vérités.

Vous avez mentionné, une offre supérieure à la demande, mais elle l’est au niveau mondial et provient essentiellement de la banane dollar. Comment pouvez-vous réguler cette offre sur le marché européen ?

Il existe des accords aux termes desquels on a accordé des quotas au Brésil, au Pérou, etc. Une fois que ces quotas sont dépassés ou en voie de l’être, on doit automatiquement déclencher le mécanisme de sauvegarde qui oblige les pays à ne pas aller au-delà du quota. Voici ce que nous recherchons. Nous pensons que nous pouvons mettre un mécanisme sur le marché européen qui protège les bananes communautaires et les bananes ACP dont c’est le seul débouché. Car faut-il le rappeler les bananes dollars ont déjà leur marché naturel qui est les Etats-Unis.

La Chine est un marché en pleine croissance. Elle importe surtout des bananes des pays d’Asie mais aussi du Mexique. Peut-on envisager que l’Afrique exporte vers ce pays ?

Les quantités que nous produisons aujourd’hui ne sont pas suffisantes et économiquement rentables pour exporter vers la Chine. Pourquoi le Mexique exporte vers la Chine ? En raison de l’étroitesse du marché européen et du volume de sa production. Le premier producteur mondial de banane ce sont les Philippines, et elles ne sont pas très éloignées de la Chine. Nous avons aussi des producteurs ACP comme la République dominicaine ou Belize, le Surinam, etc., qui ne vendent qu’en Europe. Vous ne pouvez pas vendre un seul gramme de banane sur le marché américain.

L’Europe est un marché dynamique, elle a encore importé des quantités record de banane l’année dernière sans que cela profite aux pays ACP. Comment l’expliquer ? Par un manque de compétitivité ?

Il y a plusieurs raisons. Aujourd’hui, ce que nous demandons c’est que nous puissions tenir. Par exemple, l’Equateur qui produit plus de 7 millions de tonnes (Mt) de bananes par an contre 1,2 Mt pour l’ensemble des pays ACP atteint rapidement des économies d’échelle. Il vend sur le marché américain et vient en fait faire du dumping sur le marché européen poussant les prix vers le bas. Le débat est double. C’est pour cela qu’aujourd’hui nous mettons en avant qu’un des facteurs pouvant contribuer à la réduction des migrations c’est l’agriculture. Il faut regarder ce problème en terme de prospective. Aujourd’hui, on parle de la banane mais on pourrait parler de l’igname ou d’autre. Il faut regarder le problème de façon globale, replacer la banane dans le contexte d’une Afrique rurale.

Par rapport à ce marché européen, on voit que l’appétit pour les bananes bio et/ou équitable est grandissant. Or, les pays d’Afrique semblent les mieux préparés pour répondre à cette demande avec de nouvelles plantations en cours. C’est une carte à jouer ?

Tout cela nous l’avons pris en compte et nous l’avons rappelé dans l’Appel d’Abidjan. Depuis plusieurs années, les pays ACP se sont engagés dans cette voie. La République dominicaine produit de la banane bio, le Ghana presque toute sa production est bio, une partie en Côte d’Ivoire l’est. En revanche, au Cameroun, on ne peut pas faire de la banane bio en raison de l’humidité par contre elle est équitable. Mais que cela soit pour la banane équitable ou bio, cela reste des marchés de niche et la consommation n’est pas élastique.

Et quid des marchés régionaux ? Un débouché grandissant ?

Nous l’avons envisagé. Il y a actuellement des démarches importantes pour exporter vers l’Afrique du Sud. Mais, par exemple dans le cas du Cameroun où plusieurs tentatives ont été menées. D’une manière globale, nous devons solliciter nos gouvernements, et nous l’avons fait, pour que les barrières artificielles entre les Etats soient levées, que les voies de communication soient développées. En réalité, la volonté est la, les quantités sont la, le savoir-faire aussi mais on a à faire à d’autres obstacles, parfois invisibles. Par exemple, dans le cas du Cameroun, nous avons livré jusqu’en 2015 à peu près 50 000 tonnes de bananes par an au Nigeria en passant par le Nord du pays. Avec Boko Haram tout est stoppé. Vers le Sud, l’insécurité dans les voies de communication, conséquence de la crise interne, fait que l’on ne peut plus exporter de bananes même par bateau vers Calabar. En Côte d’Ivoire, il y a des exportations sur certains pays comme le Sénégal ou la Mauritanie mais il y a des entraves sur lesquelles je ne voudrais pas m ‘étendre ici mais qui relèvent de la responsabilité de nos Etats. Les solutions ne sont pas toujours faciles à trouver mais je ne doute pas un seul instant de la volonté des pouvoirs publics d’accompagner dans tous nos pays les producteurs.

Comment l’Europe a- t-elle reçu votre appel et qu’elle a été sa réponse ?

Il faut dire que l’appel est symbolique, il est poilitique. Mais nous avons un dialogue permanent avec l’Europe. Cela ne s’arrête pas à l’appel. Les choses dont nous avons parlé aujourd’hui c’est pour leur donner une plus grande résonnance et montré que nous parlons d’une seule voix. Vous avez vu qu’à la cérémonie d’ouverture, l’un des orateurs était l’ambassadeur de l’UE en Côte d’Ivoire. Nous ne sommes pas tout à fait d’accord sur certaines approches mais le dialogue est permanent. Dans une ou deux semaines nous allons nous retrouver à Bruxelles pour rencontrer également les nouveaux responsables mis en place par la Commission.

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