Le visage laitier de l’Afrique de l’Ouest en pleine mutation

 Le visage laitier de l’Afrique de l’Ouest en pleine mutation
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Suite à la suppression des quotas européens en 2015, à la stagnation de la consommation dans l’Union européenne (UE), à l’embargo  sur les produits russes, à la restructuration de la filière chinoise et à la croissance démographique “exceptionnelle” en Afrique de l’Ouest, de nombreuses firmes laitières européennes se sont implantées dans cette région, souligne la note d’orientation de décembre publiée par le Cirad et Oxfam, intitulée Pour une alliance renouvelée entre industriels et éleveurs laitiers en Afrique de l’Ouest.

Mais “ces firmes utilisent comme matière première surtout de la poudre de lait importée à moindre coût. Pourtant, des expériences montrent que la collecte du lait local peut se révéler payante pour les industries“, estiment les auteurs, tous deux du Cirad, l’ingénieur agronome et zootechnicien Christian Corniaux et l’agro- économiste Guillaume Duteurtre.

Les entreprises, ce sont traditionnellement Nestlé (Suisse), Lactalis (France), FrieslandCampina (Pays-Bas), présentes en Afrique de l’Ouest depuis des décennies. L’implantation d’autres s’est accélérée au fil des décennies, notamment  depuis 2010, que ce soit Arla (Danemark), Danone (France), DMK (Allemagne), Glanbia (Irlande), Sodiaal (France), Milcobel (Belgique), Ornua (Irlande) ou encore Fonterra (Nouvelle Zélande).

La dichotomie pays côtiers/pays enclavés

Côté africain, la consommation de lait ne progresse guère, se situant entre 50 et 100 kg/an dans les pays sahéliens et à moins de 20 kg/an dans les pays côtiers, précisent encore le Cirad et Oxfam. Mais ce qui attire, que ce soit des groupes privés ou coopératifs mondiaux notamment européens, c’est la croissance démographique ouest-africaine, et plus particulièrement l’urbanisation qui, de facto, dynamise la distribution alimentaire, favorisant les groupes laitiers. Des seuils démographiques ont été franchies dans les villes. “Aujourd’hui, Ouagadougou et Accra dépassent les 2 millions d’habitants. Dakar, Abidjan, Bamako, Kano ou Ibadan comptent chacune plus de 3 millions d’habitants. Lagos est à plus de 8 millions de résidents.”

“La place de ces importations est considérable dans les capitales où le lait de brousse est peu commercialisé en raison de l’éloignement des zones de production, des coûts induits par la logistique et de la saisonnalité de la production“, notent les auteurs. “Dès lors, la plupart des entreprises laitières européennes et africaines se concentrent sur l’approvisionnement du marché des capitales, notamment des grands centres urbains côtiers, en utilisant comme matière première de la poudre de lait importée.” Veillant à ce que les produits de base soient abordables -et vivement incités par l’OMC à établir des politiques commerciales libérales, le tarif extérieur commun de la Cedeao pour la poudre de lait en vrac est de 5%.

80% des laiteries ne collectent pas de lait local

Pour s’implanter en Afrique de l’Ouest, les entreprises laitières européennes se sont associées à des entreprises privées locales, notamment celles qui ont des usines autour des grandes capitales portuaires. A partir de là, elles alimentent les pays de l’intérieur qui, comme le démontre le schéma, importent de toute façon peu. “La Satrec (Glanbia) implantée au Sénégal exporte vers la Guinée. De même, la société Sitrapal (Glanbia) exporte du Togo vers le Burkina et le Niger, la société Eurolait (qui détient une franchise Sodiaal) exporte de la Côte d’Ivoire vers le Mali, et l’entreprise Nestlé du Ghana exporte vers toute l’Afrique de l’Ouest.”

Globalement, sur la centaine de laiteries en Afrique de l’Ouest, 80% ne collectent pas de lait local, une vingtaine le fait mais ce lait local vient en complément de la poudre importée, et seules deux – Laiterie de Fada N’Gourma au Burkina Faso et la laiterie Tiviski2  en Mauritanie- se fournissent exclusivement en lait local.

Changement de paradigme

Mais les choses évoluent. “En se portant acquéreur de 30% du capital de la Laiterie du Berger implantée au nord du Sénégal, Danone fait figure de précurseur. L’idée fait aussi son chemin dans les directions des autres grands groupes laitiers. Arla cherche à développer sa collecte depuis son arrivée en 2015 au Nigéria. FrieslandCampina collecte du lait au Nigéria“, écrivent Christian Corniaux et Guillaume Duteurtre.

Pourquoi le font-elles ? Pour respecter leurs responsabilités sociales, soulignent encore les auteurs, mais aussi cela leur permet d’éviter les fluctuations du prix mondial du lait et de développer un marché local notamment de produits laitiers, fromages, etc. : dans le Cedeao, les droits d’importation des beurres et fromages sont de 20% et de 35% pour les yaourts. Parfois, l’Etat l’impose dans le cadre des conventions d’investissements. 

Et pour les auteurs, c’est l’avenir. “Dans de nombreux pays où le secteur laitier présente une importance sociale similaire à celle de l’Afrique de l’Ouest, les firmes laitières implantées sont tenues d’incorporer un pourcentage minimum de lait local dans leurs procédés de transformation. L’Afrique de l’Ouest pourrait s’inspirer de ce modèle afin de promouvoir une alliance renouvelée entre industriels et éleveurs laitiers.”

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