Denis Loeillet : Le marché de la banane en pleine révolution et l’Afrique y va !

 Denis Loeillet : Le marché de la banane en pleine révolution et l’Afrique y va !
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Le marché de la banane en Europe bouge. Est-ce la fin de la guerre des prix ? Quelle carte joue l’Afrique ? Explications de Denis Loeillet, responsable de l’Observatoire des marchés du Cirad-Persyst UR 26 et rédacteur en chef de la revue FruitTrop du Cirad, à CommodAfrica. 

Dans les supermarchés européens, notamment chez Lidl qui annonce vouloir aller franchement sur le bio et équitable, que se passe-t-il sur le segment de la banane ?

Depuis environ six mois, quelque chose se passe, effectivement, sur le marché de la banane en Europe. Le fait générateur de tout cela est une destruction de la valeur ajoutée nette depuis 2016, 2015 ayant été le dernier zénith des prix d’importation de la banane en Europe. Depuis 2015, on ne fait que détruire de la valeur sur le marché européen. On a perdu au stade import entre 2 et 3 euros du carton entre 2015 et 2018 pour passer en deçà des 12 euros en moyenne en 2018. Du jamais vu !

Le déclencheur absolu de ces initiatives qui appellent à l’arrêt de la guerre des prix, à ce que les supermarchés revalorisent le produit, à ce que l’équitable soit vraiment équitable, c’est le début des négociations des contrats 2019 par Aldi : à l’automne 2018, le groupe discount allemand a dit vouloir obtenir auprès de ses fournisseurs un prix inférieur au prix de l’année dernière. Il faut noter que maintenant il n’y a plus qu’un seul acheteur de bananes Aldi pour le Nord et le Sud de l’Europe. Alors, on a du mal à évaluer la taille de marché d’Aldi, mais on peut l’estimer à environ 200 000 à 250 000 cartons/semaine, soit 200 000 à 250 000 tonnes (t) par an. Le marché européen total, quant à lui, représente 6,5 millions de tonnes (Mt). Donc la part de marché d’Aldi n’est pas nécessairement énorme mais il représente à lui seul tout de même 5% des volumes de bananes vendues en Europe et c’est surtout un symbole.

Aldi a demandé cette baisse de prix pour faire de la banane encore plus un produit d’appel qu’elle ne l’ait déjà, ou pour d’autres raisons ?

Il y a deux façons de regarder la situation. Soit la banane est effectivement toujours ce produit d’appel pour vendre d’autres articles dans les supermarchés, soit  Aldi prend acte de la situation de l’offre sur le marché international qui est en totale surproduction. Face à cette donne sur le marché international, il semble logiquement d’un point de vue économique et commerciale, qu’Aldi ne veuille pas acheter la banane plus chère que l’année précédente. Car de toute façon, étant donné l’offre structurellement excédentaire, il y aura toujours un opérateur qui lui proposera 250 000 cartons.

Il faut regarder les choses en face. Des Costariciens, des Colombiens, etc. ont envoyé des communiqués de presse en septembre et octobre, et les Equatoriens se sont réunis en congrès international, annonçant vouloir faire l’Opep de la banane comme dans les années 60-70, dénonçant la position d’Aldi comme scandaleuse. Quelques mois auparavant, ces producteurs équatoriens s’étaient élevés contre leur gouvernement qui les empêchait d’étendre leurs superficies évoquant que leur grand concurrent, le Guatemala – puisqu’ils chassent sur les terres américaines comme l’Equateur et y ont d’ailleurs pris la première place, a augmenté d’un million de tonnes ses exportations en quelques années.

Et les pays latino-américains ont largement explosé dernièrement leurs quantités indicatives sur le marché européen…

C’est bien le problème. Trois pays (Pérou, Guatemala et Nicaragua) ont, effectivement, littéralement explosé leurs quantités indicatives. Le Nicaragua, même si c’est une origine modeste, en est à plus de 500% de sa quantité indicative ! C’est la même chose du côté des poids lourds Dollar que sont la Colombie, l’Equateur et le Costa Rica. Ils constituent la base de l’approvisionnement en “bananes dollars”, ont augmenté leurs volumes depuis 2006 mais par la magie de la négociation passée, restent sous leurs quantités indicatives. Leurs négociateurs avaient en effet été prudents en exigence que leur seuil augmente de 5% par an. Donc, de toute façon, les grandes origines dollar ne dépasseront jamais leurs quantités indicatives, surtout que 2019 sera la dernière année de la mise en œuvre de l’accord. C’est pourquoi, dès le début, je me suis élevé contre ce soi-disant mécanisme de stabilisation et de sauvegarde car cela ne peut pas fonctionner. Car on n’a jamais voulu que cela fonctionne. Encore une décision politique qui n’a jamais eu comme objectif de gérer les crises.

Dans tout cela, quelle partition joue la chaîne allemande Lidl qui a annoncé dernièrement vouloir jouer pleinement la carte de la banane bio et équitable ?

Donc, Aldi a ouvert le feu mais de façon assez sensé en termes de marché, même s’il signe toutes les initiatives en faveur de plus d’équité au World Banana Forum. De leur côté, Lidl mais aussi des groupes suisses disent qu’il faut arrêter la guerre des prix. Ils veulent l’arrêter car ils ne sourcent plus que de la banane équitable. Donc, soit ils baissent leurs marges -ce qui est peu probable, soit ils augmentent leurs prix. Or, augmenter le prix sur un produit de base, risque, dans leur tête, de détourner les consommateurs de leur magasin. Rappelons que partout dans le monde, la banane est le faire-valoir pour les autres produits du supermarché.

Donc, pour se positionner face à Aldi, ils jouent la vertu ?

Exactement. Mais il faut se rappeler que ce sont les supermarchés britanniques qui sont intervenus les premiers en faveur de la banane équitable: Sainsbury, Morrisons, etc.

Mais, on peut être optimiste. Car tout ceci résulte des appels de toutes les chaînes de distribution européenne à l’agro écologie, au changement de paradigme agronomique, à une meilleure répartition de la valeur dans la chaîne, etc. C’est en tout cas ce qui nous apparaît au Cirad, puisque l’on a de plus en plus de demande des grands distributeurs qui souhaitent produire de manière plus durable.

Donc, quelque chose est en train de changer. C’est lent, on fait un pas en avant et deux en arrière, mais quelque chose est en marche en faveur de plus de vertu dans ces pratiques commerciales, sociales et agronomiques.

Dans tout cela, quid de l’Afrique ?

Donc, reprenons, en haut du panier, on a la production européenne, que ce soit aux Canaries et particulièrement aux Antilles françaises. Même si c’est plus complexe aux Antilles parce que nous sommes en climat tropical humide, la production bananière y est très vertueuse : c’est le laboratoire du changement agronomique et social au niveau international de la banane. Mais, en volumes, ils représentent peu : les Antilles représentent entre 3 et 5 % du marché européen.

L’Afrique, quant à elle, est entre 600 000 à 700 000 t par an. C’est 10 % environ du marché. Et elle a des ambitions fortes, certes contrecarrés de façon conjoncturelle avec les problèmes au Cameroun, en région anglophone, notamment avec la CDC. Mais on peut imaginer une reprise de son activité dans les tous derniers mois de 2019.

Quant à la Côte d’Ivoire, de nombreux opérateurs investissent. C’est déjà la première origine africaine sur le marché européen et, étant donné ce qu’ils plantent, si les conditions politiques sont favorables, on va avoir une très belle origine. Déjà, cette année, on va largement dépasser les 300 000 t et on va à moyen terme vers les 350 000, voire les 400 000 t.

La filière banane se développe aussi beaucoup au Ghana qui plante. Il faut remarquer que toutes ces origines adhèrent à ce qu’on peut appeler « l’école française » de l’agro écologie véhiculée par le Cirad en opposition à « l’école américaine » du tout chimique. On revient à des pratiques plus respectueuses de l’environnement, on comprend mieux les systèmes, on fait des jachères assainissantes, on utilise du matériel de plantation sain (vitroplants), on pratique le piégeage des charançons, on raisonne les stratégies de lutte contre la cercosporiose noire du bananier, etc. L’Afrique, pour moi, c’est un terrain qui est en avance sur toutes les autres origines, mises à part les Antilles. L’Afrique s’inscrit dans un cercle vertueux.

Les filières africaines sont plutôt sur du bio, de l’équitable, du certifié?

Il y a tout; on peut tout trouver ! Au Cameroun, il n’y a pas de bio mais de l’équitable; en Côte d’Ivoire, il y du bio, de l’équitable, du traditionnel, de l’agro-écologie, etc. mais avec un très fort mouvement vers le bio. Le bio, pour l’instant, ne représente pas encore beaucoup de volumes, mais, encore une fois, on plante énormément. Au Ghana, il y a énormément de bio aussi. Tout certifié, bien sûr.

Donc, si on regarde ces mouvements de fond, côté distribution et côté pays producteurs, l’Afrique sera très bien positionnée pour répondre à la demande de ces supermarchés européens dans peu de temps ?

J’espère et je le crois! Je constate que ces mouvements vers le bio, vers l’agro-écologie en Afrique, je ne le vois pas ailleurs. Le social est très bien appréhendé car les plantations se disputent les ouvriers et les encadrements locaux car on est en manque cruel de main d’œuvre qualifiée. Les rémunérations sont donc bonnes. Il y a des syndicats et du dialogue. L’ONG Banana Link est, d’ailleurs, relativement positive sur l’Afrique en terme social, c’est un signe encourageant.

Toute cette évolution est lente, bien sur, mais le coup de feu a été tiré. De toute façon, l’Afrique n’a guère le choix car elle ne peut plus se positionner sur de la banane “low cost” comme celle des pays latino-américains car les structures de coûts africaines ou les taux de change ne leur permettent pas de concurrencer la banane équatorienne, colombienne et autre.

Donc, que ce soit pour des raisons économiques, environnementales, sociales ou pour des considérations commerciales, de marketing, aujourd’hui, il n’y a plus de choix : il faut y aller ! Et j’ai plutôt le sentiment que l’Afrique a choisi d’y aller.

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