Journaliste et agriculteur : je t’aime, moi non plus

 Journaliste et agriculteur : je t’aime, moi non plus
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Journaliste et communicant, connais-tu ton agriculteur ? Visiblement, mal, peut-on conclure de la première journée du Séminaire de sensibilisation des étudiants journalistes et communicants aux questions agricoles organisé par CommodAfrica et l’Institut des Sciences et techniques de la communication (ISTC) à Abidjan (lire notre information). Et, en tout premier lieu, c’est la Chambre d’Agriculture qui semble mal connue, de l’aveu même du Conseiller technique du Président de la Chambre, Alain Yves Kouassi.

Rien d’étonnant, ont souligné de façon unanime les intervenants au séminaire ! Car qui s’intéresse vraiment au parent pauvre, en général ? Et l’agriculture -donc l’agriculteur- est bien le parent pauvre. “Aujourd’hui, ce sont les pauvres qui font l’agriculture. Et s’ils ne sont pas pauvres, ils ont dû autofinancer leur activité agricole“, souligne Jean-Marie Kacou Gervais, ancien ministre et diplomate, et actuellement président de l’Organisation des producteurs exportateurs de bananes, ananas et mangues de Côte d’Ivoire (Obamci) et agriculteur : les banques demeurent sourdes aux demandes de financement pour ce secteur de l’économie. “Elles préfèrent financer la commercialisation du cacao que la production agricole en tant que telle.” En conséquence, la presse ne s’intéresse guère à l’agriculture car “elle a d’autres chiens à fouetter.

Rien d’étonnant non plus car si “la Côte d’Ivoire est un pays rural, depuis 40 ans, en matière d’agriculture, rien n’a changé“, constate Emmanuel Dolly, secrétaire exécutif de l’Obamci. “Seulement 3% du budget de l’Etat va à l’agriculture. Comment voulez-vous que l’agriculture décolle avec ces montants ?” Et Bernardin Kouadio Kouamé, directeur général de Djera Laiterie de reprendre l’historique. “Dans les années 60, l’agriculture représentait 45% du PIB et en 2018 plus que 21,5%.. L’agriculture ne contribue qu’à hauteur de 1,2% de la croissance du PIB ivoirien qui est aux alentours des 8% alors que la moitié des emplois en Côte d’Ivoire est dans l’agriculture.

L’Etat doit préparer la terre comme il construit des écoles

Rien d’étonnant encore, car “Aujourd’hui, qui va à l’agriculture ? Celui qui est en échec scolaire. On envoie des gens faire l’agriculture pour nous mais une fois qu’ils y sont allés, on ne leur donne pas la possibilité de s’enrichir.“L’Etat ne nous aide pas“, renchérit Assale Kouassi, maraîcher dans la zone de Grand Lahou, “et les banques non plus”.

Carrefour paie 3 mois après avoir pris livraison de ma marchandise alors qu’avec tous mes propres fournisseurs, je suis au comptant“, Bernardin Kouadio Kouamé précise que l’agriculteur n’a pas accès aux financements car il n’existe plus de Banque agricole en Côte d’Ivoire. “Une banque ne finance pas des projets agricoles. Or, Il faut FCFA 1,2 million pour aménager un hectare de terrain, ce qui est énorme.” D’où la nécessité pour l’Etat de préparer la terre, comme il construit des écoles pour éduquer les enfants, des hôpitaux pour soigner, etc.

 “Dans mon métier auparavant [Compagnie ivoirienne d’Electricité, ndlr], chaque année j’avais des stages. Or, un agriculteur a-t-il accès la formation ? Non.  Pourtant, la formation, c’est le minimum, le départ de tout”, rappelle le chef d’entreprise qui vient de recevoir un tracteur qui lui a coûté FCFA 100 millions mais qui ne trouve pas de chauffeur qualifié.

Quant à la question foncière, sujet primordial alors qu’agriculteur et éleveur se confrontent sur la terre, “On en parle beaucoup mais on n’avance pas !“, constate Bernardin Kouadio Kouamé. Pourtant, pour être performante, “une ferme doit être une structure juridique.”

Des couronnes de laurier pour le journalisme “impactant”

Alors, comment le journalisme peut-il aider l’agriculteur d’aujourd’hui ? Dans un premier temps, “en faisant son travail”, déclare Daniel Oulaï, CEO de la Grainothèque et blogueur national agricole, membre de l’Union nationale des blogueurs de Côte d’Ivoire, UNBCI. “On est arrivé à un point où on n’arrivait plus à faire la différence entre propagande et journalisme. […] Les agriculteurs de subsistance ne peuvent pas faire porter leurs voix et il ne faut pas que les journalistes enterrent le paysan ! C’est pourquoi j’ai créé mon blog. Certains bloggeurs se considèrent comme des journalistes. Or, un blog, c’est comme un carnet personnel. Il n’y a pas une déontologie professionnelle, une obligation à vérifier l’information.” Mais, convient-il à leur décharge, en Côte d’Ivoire, le journaliste et les rédactions, en général, n’ont guère le moyens d’aller chercher les informations. “On saisit l’opportunité d’une actualité pour faire un sujet“, explique Sangare Ladji, directeur des programmes à Radio Yopougon, un quartier d’Abidjan, l’Å“il sur l’audimat. “Globalement, il y a beaucoup de problème dans le journalisme, notamment les financements ce qui est un problème pour atteindre les gens dans leurs langues.”

Dommage, si l’on en croit l’expérience  de Joseph Opoku Gakpo, journaliste ghanéen spécialisé dans l’Environnement, l’agriculture et le développement rural chez  Multimedia Group au Ghana, et qui a remporté plusieurs récompenses internationales pour son “journalisme impactant”. Un journalisme qui fait bouger les lignes mais qui fait défaut en Côte d’Ivoire, souligne Sangare Ladji. Ce qui explique qu’en Côte d’Ivoire les blogueurs soient “montés en flèche car ils répondent à un besoin.” Mais il y a espoir car, en Côte d’Ivoire aussi, le journalisme impactant commence à monter en puissance.

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