Thierry Devilder : « Le marché du coton va rester très tendu jusqu’aux prochaines récoltes de l’hémisphère sud »

 Thierry Devilder : « Le marché du coton va rester très tendu jusqu’aux prochaines récoltes de l’hémisphère sud »
Partager vers

Le marché du coton est à un plus haut de 11 ans. Alors que les fondamentaux du marché sont relativement équilibrés, comment expliquer cette hausse ? Comment se situe l’Afrique ? Analyse de Thierry Devilder, président du directoire chez Devcot, pour CommodAfrica.

Après avoir progressé de 44% en 2021, le marché du coton est toujours sur un trend haussier ayant gagné plus de 20 cents la livre depuis le début de l’année. Un marché soutenu par la spéculation, les ventes sur appel non fixées, les perturbations logistiques, les coûts des intrants et du fret, etc. … Le coton peut-il encore poursuivre sur sa lancée ou subir une correction ?

Aujourd’hui c’est compliqué d’avoir des certitudes sur le marché du coton. Les fondamentaux sont assez définis avec des productions connues et  une consommation assez résiliente. Avec tous les événements géopolitiques qui peuvent nous atteindre, surtout en Europe avec le conflit Ukraine-Russie, on pourrait penser que cela peut freiner la consommation avec l’angoisse d’un conflit proche et une forte remontée de l’inflation. Pour l’instant, cela ne se manifeste pas, mais cela pourrait impacter la consommation à terme.

Ce qui est assez marquant aujourd’hui c’est la déconnection des prix du physique, ce que  les filatures sont prêtes à payer, des prix sur le marché de New-York. L’ICE est complètement aux mains de la spéculation. Depuis une dizaine de jours, de  nombreux fonds se sont remis à acheter le marché, ce qui a provoqué son emballement.

Le coton essaye de défendre ses emblavements par rapport à ses concurrents que sont le maïs, le blé et le soja. Toutefois, tout le monde n’est pas capable de switcher du jour au lendemain d’une récolte à l’autre. Mais, aux Etats-Unis, à la marge  il suffit qu’il y ait un peu moins de coton pour que cela mette le feu aux poudres.

Aujourd’hui, la production et la consommation sont assez équilibrées. S’il y a un accident de récolte quelque part ou si quelques pourcentages de surface passent d’une culture à l’autre, cela peut effectivement faire basculer les prix. Et la spéculation vient toujours un peu appuyer où cela fait mal, où il y a une possibilité de gains.

Beaucoup de filatures achètent on call et doivent donc fixer le prix final. Or, dans un marché en déport (ndlr : le spot est plus cher que les mois éloignés) avec un problème de rareté du physique pour des livraisons rapprochées,  les filatures et usines, qui n’ont pas fixé, sont en grande difficulté. Rouler leurs positions d’un mois sur l’autre peut en fin de compte leur couter très cher et rien ne garantit que demain sera meilleur marché. Depuis deux ans le marché est dans un canal haussier qu’il n’a pas quitté.

Est-ce justifié que le marché soit aussi élevé (ndlr 139 cents hier) ?

Difficile d’y répondre. Disons que s’il était 20 ou 30 cents la livre plus bas ce ne serait pas totalement illogique.

Une hausse alimentée par la spéculation ?

Oui c’est la spéculation en numéro un. Il y a des grands mouvements de capitaux qui sortent des marchés actions et des obligations et qui vont se mettre sur les commodités agricoles car il y a du rendement et c’est un rempart à l’inflation sous-jacente. Dans ce contexte, les fondamentaux du coton ne sont que peu regardés par les fonds.

La filature est sous-pression. Elle semble manquer de coton avec des difficultés logistiques encore très présentes, et aujourd’hui le prix du coton paraît élevé par rapport au prix du filé. Ne risque-t-on pas des défauts de paiement ?

C’est possible. Jusqu’à il y a environ un mois, avant que le marché ne se réemballe, les filateurs ont réussi à absorber la hausse et à la faire passer à leurs clients. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, sauf si on reste sur ces niveaux de prix durant plusieurs semaines, leurs clients seront obligés de payer la hausse demandée par les filateurs. Aujourd’hui, les achats sont arrêtés, les filateurs ne fixent que ce dont ils ont besoin. C’est douloureux car les montants en jeu sont importants.

La situation peut-elle devenir explosive ?

Le marché est relativement équilibré mais il n’est pas à l’abri de soubresauts suite à des superficies moindres aux Etats-Unis ou à la sécheresse dans l’Oklahoma et au Texas. La Chine, qui vient de libérer un quota à l’importation de 400 000 tonnes, est toujours très présente aux achats, notamment pour le coton américain, or il ne reste plus de 2 à 3 millions de balles de coton américain disponible.

Aujourd’hui, nous avons peu de producteurs qui ont du coton à vendre  et en face des filateurs qui ont besoin de fixer des ventes.

Le marché devrait rester tendu jusqu’aux prochaines récoltes de l’hémisphère sud avec le Brésil en juin-juillet puis l’Australie.

Du côté de l’Afrique, reste-t-il du coton à vendre et comment se déroulent les embarquements ?

L’Afrique a vendu une grande partie de son coton. Il reste au maximum 10 à 15%. En revanche, il manque de conteneurs et d’espace sur certaines destinations, comme le Bangladesh, l’Inde et le Pakistan. Tant que les prix du coton se maintiennent, ce n’est pas un problème.

Quelle est la situation au Mali depuis les sanctions économiques et financières de la Cedeao en vigueur depuis le 9 janvier ?

La Mali avait mis suffisamment de coton en dehors du pays avant l’embargo ce qui lui a permis d’alimenter ses engagements du 1er trimestre 2022. La CMDT se tourne désormais vers Nouakchott et Conakry pour remédier au problème mais leur capacite est beaucoup plus limitée.

Espérons que l’embargo soit levé rapidement sinon il faudra s’armer de patience.

Comment se présentent la prochaine campagne (2022/23) en Afrique avec la hausse spectaculaire du coût des intrants ?

C’est un gros problème. Certains pays ont déjà anticipé et sont couverts en partie. D’autres non. La très forte hausse des engrais et des pesticides dans une moindre mesure vont durablement impacter les filières coton. Comme les capacités d’accompagnement des filières sont limitées, la répercussion sur la production pourrait être importante.

La zone mer Noire était l’une des zones importantes au niveau des expéditions des intrants sur le continent. Cette source risque d’être compromise pour le moment.

Cela pourrait conduire à une diminution des récoltes 2022/23 ?

Les prix actuels du coton pour 2022/23 devraient encourager la production pour la saison prochaine mais l’inconnue des coûts de production à venir fait qu’il y une grande incertitude de ce coté.

Les prix aux producteurs vont-ils suivre ? Est-ce que les cotonculteurs auront le même enthousiasme ou bien seront ils tentés de  cultiver plus de vivriers voire de soja ?

Il n’est pas sûr que planter du coton soit une si bonne affaire en 22/23.

Enfin parmi les contraintes de nos filières ,il ne faut pas oublier les taux de fret, qui vont continuer à se raffermir avec des capacités de transport limitées sur certaines destinations. Bien que l’Afrique participe au retour des containers principalement vers l’Asie, elle est tout de même impactée par la hausse du dollar et du baril de pétrole. Nous ne voyons pas d’amélioration a moyen terme sur les coûts de transport aussi bien terrestre que maritime.

 

 

 

Autres Articles

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *