Homme, femme? Producteur, consommateur ? La recherche agricole doit ĂȘtre plus subtile
Pour que la recherche variĂ©tale soit un succĂšs, c’est-Ă -dire qu’elle soit adoptĂ©e et bien travaillĂ©e par les agriculteurs Ă qui elle est destinĂ©e, il faut que cette recherche corresponde Ă leurs attentes et Ă ce qu’ils aiment et non qu’elle corresponde Ă de seuls critĂšres scientifiques. Car ces agriculteurs sont producteurs mais aussi consommateurs. En outre, les chercheurs doivent savoir si leurs travaux seront destinĂ©s Ă des hommes ou Ă des femmes.
Tel est en substance le message de l’Ă©quipe de scientifiques du CGIAR sur les racines, les tubercules et les bananes (RTB), dirigĂ© par Graham Thiele, qui a publiĂ© l’Ă©tude intitulĂ© “Les consommateurs ont leur mot Ă dire : Ă©valuation des traits de qualitĂ© prĂ©fĂ©rĂ©es des racines, tubercules et bananes Ă cuire, et implications pour lâamĂ©lioration variĂ©tale“*.
“Il faut sâattacher davantage Ă comprendre comment les prĂ©fĂ©rences des consommateurs façonnent la demande et favorisent lâadoption. Cela est particuliĂšrement important en Afrique subsaharienne, oĂč les mĂ©nages agricoles sont Ă la fois consommateurs et producteurs, et parce que les hommes et les femmes jouent des rĂŽles diffĂ©rents dans les exploitations agricoles et ont des prĂ©fĂ©rences potentiellement diffĂ©rentes”, est-il soulignĂ©.
“Il est extrĂȘmement important de savoir quelles variĂ©tĂ©s sont adoptĂ©es et pourquoi, Ă la fois pour montrer la valeur des investissements dans les systĂšmes dâamĂ©lioration et semenciers, mais aussi pour savoir ce que les agriculteurs et les consommateurs veulent vraiment pour amĂ©liorer les programmes de sĂ©lection en vue dâun impact plus large”.
Les préférences des consommateurs
D’oĂč l’importance pour les sĂ©lectionneurs de veiller Ă ce que ces prĂ©fĂ©rences soient considĂ©rĂ©es comme des caractĂ©ristiques spĂ©cifiques des nouvelles variĂ©tĂ©s afin de parvenir Ă une adoption plus large, souligne l’Ă©tude Les consommateurs ont leur mot Ă dire : Ă©valuation des traits de qualitĂ© prĂ©fĂ©rĂ©es des racines, tubercules et bananes Ă cuire, et implications pour lâamĂ©lioration variĂ©tale*.
L’Ă©tude souligne que de nouvelles variĂ©tĂ©s ont Ă©tĂ© adoptĂ©es dans certains pays : bananes en Ouganda, manioc au Nigeria, pommes de terre au Kenya, patates douces en Ouganda et ignames en CĂŽte dâIvoire. Graham Thiele souligne avoir Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© “de constater que dans plusieurs cas, comme pour le manioc au Nigeria, la pomme de terre au Kenya et lâigname en CĂŽte dâIvoire, les sĂ©lections des agriculteurs Ă partir des essais variĂ©taux rĂ©alisĂ©s en milieu paysan ont conduit Ă une adoption plus large de nouvelles variĂ©tĂ©s que celles qui avaient Ă©tĂ© sĂ©lectionnĂ©es et diffusĂ©es formellement par les sĂ©lectionneurs.”
“Cela suggĂšre que nous devons examiner la maniĂšre dont nous donnons la prioritĂ© aux caractĂšres dans les programmes de sĂ©lection, y compris les processus officiels dâhomologation des variĂ©tĂ©s, afin de pouvoir fournir ce que les agriculteurs, les transformateurs et les consommateurs souhaitent effectivement. Mais nous devons aussi associer cette dĂ©marche Ă la mise au point de systĂšmes semenciers qui rĂ©pondent mieux Ă cette demandeâ.
La banane a Ă©tĂ© la culture la plus difficile, avec une faible adoption de nouvelles variĂ©tĂ©s, en particulier pour les bananes hybrides, issues de croisements dĂ©libĂ©rĂ©s. Dans ce cadre, Enoch Kikulwe, co-auteur de lâĂ©tude, confirme que âces Ă©tudes dâadoption montrent quâil est difficile dâintroduire un hybride de banane Ă moins quâil ne rĂ©ponde aux prĂ©fĂ©rences particuliĂšres des consommateurs. Lâadoption sera assez limitĂ©e mĂȘme si les hybrides ont un rendement plus Ă©levĂ© et dâautres caractĂ©ristiques agronomiques favorablesâ.
Un autre co-auteur, BĂ©la Teeken, a expliquĂ© que âparfois, en y regardant de plus prĂšs, on trouve des prĂ©fĂ©rences spĂ©cifiques liĂ©es au genre. Par exemple au Nigeria, la variĂ©tĂ© de manioc Nwaocha est particuliĂšrement apprĂ©ciĂ©e par les femmes qui effectuent la plupart des opĂ©rations de transformation, parce quâelle a une bonne aptitude Ă la transformation (elle fermente rapidement), et surtout : elle a une couleur blanche Ă©clatante qui la rend parfaite pour la fabrication de lâabacha, un produit Ă base de manioc rĂąpĂ©â. Ce qui explique que les consommateurs prĂ©fĂšrent parfois “les variĂ©tĂ©s locales car elles prĂ©sentent des caractĂ©ristiques essentielles que lâon ne trouve pas dans les variĂ©tĂ©s modernes.“
Lâigname est un autre exemple trĂšs intĂ©ressant car lâadoption variĂ©tale porte souvent sur des variĂ©tĂ©s traditionnelles dâautres rĂ©gions. Amani Michel Kouakou, sĂ©lectionneur igname au Centre national de recherche agricole (CNRA) de BouakĂ©, souligne quâen CĂŽte dâIvoire âla bonne qualitĂ© culinaire a Ă©tĂ© la clĂ© de lâadoption relativement rapide des variĂ©tĂ©s traditionnelles comme Florido puis C18 (Dioscorea alata). Bien quâelles ne soient pas aussi qualitatives que les variĂ©tĂ©s Dioscorea rotundata pour lâigname pilĂ©e (le foutou), elles sont moins chĂšres, plus faciles Ă multiplier et Ă cultiver que les D. rotundata ; elles se conservent mieux et produisent une igname pilĂ©e acceptableâ.
Ainsi, poursuit Dominique Dufour, les femmes prĂ©fĂšrent souvent les variĂ©tĂ©s de manioc qui âfermentent rapidementâ, ce qui signifie que les racines deviennent plus souples et quâil est plus facile dâen retirer la fibre. Leur travail est ainsi plus productif et moins fastidieux.
* International Journal of Food Science and Technology, coordonné par le projet Rtbfoods.