Alain Karsenty : « La régénération naturelle gagnerait la bataille des forêts face aux plantations tropicales »

 Alain Karsenty : « La régénération naturelle gagnerait la bataille des forêts face aux plantations tropicales »
Partager vers

Le marché des bois tropicaux, notamment africains, a été impacté par le ralentissement économique de la Chine, par l’inflation et la hausse des taux d’intérêt qui ont touché  le marché de la construction de logement, explique à CommodAfrica le spécialiste bois du Cirad, Alain Karsenty, en marge de la conférence sur le rapport Cyclope. Il y a des signes de reprise et surtout on constate la montée en puissance du Vietnam comme importateur de bois tropicaux notamment du Cameroun. Côté production, ce sont les essences dites secondaires qui commencent à s’affirmer et leur prix devrait, inéluctablement augmenter. 

Côté recherche, face aux défis environnementaux, économiques et sociétaux, la régénération naturelle est prônée face aux plantations qui connaissent un taux d’échec très important et qui se heurtent aux conflits avec les éleveurs et de concurrence avec les agriculteurs. Une politique de régénération qui remporte déjà des succès en Côte d’Ivoire dans les cacaoyers. Mais ceci requiert d’accorder aux paysans des droits fonciers importants afin qu’il s’investisse à repérer et à bien travailler les jeunes plants forestiers sur sa parcelle. 

Entretien exclusif avec Alain Karsenty.

Quelle est la situation aujourd’hui des bois tropicaux notamment africains ?

Avec le ralentissement économique chinois et la politique zéro Covid, il y a eu une forte dépression sur le marché des bois tropicaux avec une baisse des prix. Le ralentissement chinois s’est fait extrêmement sentir. L’Europe avait commencé à avoir des velléités de reprise et puis l’inflation et la hausse des taux d’intérêt avec, notamment, l’augmentation du cout du crédit pour la construction, n’ont pas permis de prendre le relais de la Chine. De toute façon, l’Europe n’a plus les volumes pour prendre le relais de la Chine.

Donc, on est toujours dans l’attente d’une reprise chinoise qui se fait un peu attendre. Il y a aussi le Vietnam qui commence à devenir un acteur mondial très important mais il n’a pas encore atteint le niveau chinois. Le Vietnam achète de plus en plus de bois et, dans une certaine mesure, prend le relais de la Chine pour l’importation de grumes, notamment camerounaises. 

Ainsi, comme pour la plupart des matières premières, tout va dépendre de la tenue du marché chinois dans les prochains mois, mais aussi de ce qui va se passer sur le front des taux d’intérêt donc du coût du crédit donc du coût de la construction en Europe mais de façon un peu plus marginale. 

Côté production, pour l’instant, il y a eu une très importante chute au Gabon, au Cameroun ou encore au Congo. Des premiers signes de reprise apparaissent, mais relativement timides.

Ainsi, aujourd’hui, il y aurait beaucoup moins de grumes sur le marché parce que le Congo Brazzaville a décidé d’interdire leur exportation. Le Cameroun, quant à lui, n’a pas interdit leur exportation même s’il envisageait de le faire ; finalement, il a préféré les taxer de façon très importante donc cela va limiter les flux de grumes. 

Sur les sciages, on va avoir beaucoup de concurrence sur les marchés, ce qui risque d’avoir pour incidence un tassement des prix car le Gabon en fait beaucoup, le Cameroun aussi et va en faire encore plus, le Congo Brazzaville va lui aussi en faire encore un petit peu plus. En revanche, ceux qui continuent d’exporter des grumes, comme la RD Congo, comme il n’y a plus beaucoup de grumes sur les marchés, le prix va probablement continuer à monter.

Les marchés des bois tropicaux ont-ils encore un avenir ? En d’autres termes, hormis l’incidence environnementale, est-ce viable pour des pays africains d’investir dans des plantations forestières?

Non. D’ailleurs, je n’y crois pas trop en Afrique centrale car il reste encore beaucoup de forêt même si elle est dégradée par une mauvaise gestion en général, l’agriculture et le bois de feu. Je pense qu’avoir des grandes surfaces en plantations va poser un certain nombre de problèmes, essentiellement des problèmes fonciers et de concurrence par rapport à l’agriculture. L’insécurité foncière, le manque de visibilité sur le foncier, tout ceci n’est pas très favorable à des plantations.

Deuxièmement, il reste tout de même suffisamment de ressources en forêts naturelles, qui se renouvellent malgré tout, même si elle se renouvelle à un rythme moindre. En d’autres termes, de toute façon, il y a une dynamique forestière suffisamment forte. 

On va avoir quelques problèmes sur certaines essences comme le sapelli qui se renouvelle moins bien. Mais il reste énormément d’autres essences qui vont prendre, probablement, le relais. Leurs prix vont monter. Mais il faut se rappeler que sur le marché du bois tropical, tous les 20 ou 30 ans, il y a de nouvelles essences qu’on exploitait très peu et dont les prix vont augmenter, ce qui incite à développer leur exploitation. 

Certes, un jour cela va s’arrêter car les essences dites secondaires vont devenir des essences principales. Or, elles ne sont aps extrêmement abondantes en forêt par rapport à l’okoumé, au sapelli, enfin aux grandes essences qu’on connait. Justement, elles étaient très demandées par le marché parce qu’elles étaient abondantes et donc très disponibles dans les forêts. 

Alors, on peut encore un peu tirer la ficelle mais c’est vrai qu’il va y avoir une limite. Maintenant, avec l’industrialisation et les progrès techniques, on est capable de tirer de la valeur avec des bois qui sont peut-être beaucoup plus divers. On n’aura pas nécessairement besoin d‘avoir plus de sapelli, plus de moabi, etc. Il y a beaucoup d’essences qui peuvent être utilisées, traitées, usinées de telle manière qu’elles peuvent répondre à un certain nombre de besoins. 

Plus globalement, il est certain que le bois tropical sur le marché européen se rétrécit par rapport à des marchés comme le Moyen-Orient ou le Sud-Est asiatique. A telle enseigne qu’un pays comme le Gabon, par exemple, mise à part la crise des deux dernières années, n’avait jamais autant exporté de bois. Et le Cameroun aussi a une production très importante.

D’une perspective européenne, on a l’impression qu’il y a de moins en moins de bois tropical. Mais cette image est faussée car de nouveaux marchés sont très demandeurs de bois tropicaux et vont continuer à l’être. 

Le problème va se situer du côté de la ressource. Peut-être pas à court terme ni peut-être à moyen terme, mais sans doute dans le moyen-terme+ pour les raisons que j’ai déjà évoquées : la ressource se dégrade, l’industrialisation permet de tirer de la valeur de bois qui sont relativement abondants mais qui n’ont pas aujourd’hui une forte valeur commerciale. Nous verrons !

La recherche scientifique cherche-t-elle à accélérer la pousse d’arbres tropicaux, notamment ?

Sur les plantations, oui. On a des clones, par exemple, d’eucalyptus au Congo Brazzaville qui sont beaucoup plus productifs. Ils sont peut-être plus rapides dans la pousse mais ce n’est pas tant ce qui est recherché que le volume qu’ils vont donner. Donc, on a des progrès en termes de sélection et de clonage. 

On a aussi toute une problématique d’arbres génétiquement modifiés dont le potentiel est important mais avec des oppositions sociétales qui sont très fortes, y compris en Afrique. Il y a beaucoup de questionnements sur l’acceptabilité des arbres génétiquement modifiés, entre autres. Pour l’instant, on est resté sur des modes de sélection naturelle. 

Sur la question des plantations, le plus efficace pour refaire du couvert forestier, ce n’est pas tellement de faire des plantations car les taux d’échec sont très importants -en Afrique – on est généralement autour de 10 à 20% de réussite pour les implantés, même pour la grande muraille verte du Sahel, les taux de mortalité sont très importants. A ceci se greffent, au Sahel, les problèmes de pastoralisme : il faut faire d’immenses barrières pour protéger les jeunes pousses des troupeaux. Si personne ne surveille ces barrières, elles sont ouvertes par les pasteurs. Je l’ai vu au Burkina Faso et c’est très impressionnant : des programmes massifs de reboisement dans les forêts classés qui avaient été totalement dégradées sur financements de la Banque africaine de développement. Plusieurs millions de dollars ont été investis avec un taux de réussite de zéro quasiment. 

Maintenant, on veut miser sur la régénération naturelle qui marche très bien. On l’a vu en Côte d’Ivoire et on le voit même dans des champs de cacaoyer. Mes collègues du Cirad ont récemment commis un papier soulignant que ce n’est pas une option de planter dans les cacaoyères pour faire du couvert forestier. Il y a encore beaucoup d’arbres dans les cacaoyères même si ce n’est plus de la forêt. Et on constate que si on accompagne ces arbres laissés sur place en faisant une régénération naturelle assistée, on aura une dynamique forestière beaucoup plus intéressante. Les arbres qui poussent en régénération naturelle ont gagné en sélection naturelle donc ils sont beaucoup plus résistants à toutes les pathologies, etc. Tandis que les arbres qu’on plante, élevés en nurserie, ne sont pas toujours très costauds. Nombreux vont périr en milieu naturel.

Donc on commence à assister à un changement de paradigme en termes de plantation vs. régénération naturelle.

L’autre point important est de travailler avec les paysans dans leurs champs en leur reconnaissant des droits fonciers importants parce que c’est la condition nécessaire pour que, soit ils puissent planter des arbres, soit lorsqu’ils font du cerclage de mil ou autre, ils repèrent les jeunes pousses en régénération naturelle, qu’ils les protègent, qu’ils les conservent. Et on peut les rémunérer pour ça. Ce sont des services de paiement pour services environnementaux ou d’autres termes à choisir.

Par conséquent, il est beaucoup plus intéressant de miser sur la régénération naturelle et travailler avec les paysans pour qu’ils laissent et remettent les arbres dans leurs champs. Mais ceci implique de leur reconnaitre des droits fonciers assez solides.

 

Autres Articles