Alex Assanvo : « Décommoditiser » le cacao en préférant la juste rémunération à l’algorithme

 Alex Assanvo : « Décommoditiser » le cacao en préférant la juste rémunération à l’algorithme
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Alex Assanvo, secrétaire exécutif de l’Initiative cacao Côte d'Ivoire Ghana (CIGCI), a clairement fait
entendre sa position lors de la conférence scientifique sur l’adaptation de la cacaoculture et
caféiculture aux changements climatiques qui s’est tenue début juin à Yaoundé, organisée par le
Conseil interprofessionnel cacao et café (CICC) : il faut sauver la planète non seulement en sauvant les
forêts mais aussi en sauvant les hommes, les planteurs. Or, tant que les marchés à terme seront les
seuls outils pour fixer le prix du cacao, le producteur n’a guère de chance d’être bien rémunéré.
Alex Assanvo a livré son analyse à CommodAfrica.

En quoi consiste la décommoditisation ?
C’est la question la plus fondamentale à laquelle nous faisons face aujourd’hui. Tout le monde est
conscient qu’il faut agir pour sauver la planète. La Côte d’Ivoire, le Ghana et les pays producteurs en
général en sont tous conscients. Aujourd’hui, en Côte d’Ivoire, nous avons des programmes de
traçabilité nationaux qui sont en train d’être mis en place, comme au Ghana. Nous entendons mettre
en place un standard commun régional et une vingtaine de pays y travaille.

En face, nous avons une forte demande de nouvelles normes pour du cacao durable. Chacun a sa
définition du cacao durable. L’Union européenne, par exemple, à travers sa régulation, nous fait
comprendre que, pour eux, la durabilité c’est protéger les forêts. Mais la question est aussi le revenu
décent des producteurs. Dans la filière cacao, ils ne parviennent même pas à couvrir leurs coûts de
production. Rappelons que les prix du cacao sont fixés à la bourse de Londres sur une base
spéculative. C’est une « commodité ».
La « décommoditisation », pour nous, c’est notre engagement à délivrer un cacao durable,
transparent (nous savons qui le produit, il a sa carte de planteur, nous connaissons la taille de sa
plantation, où elle se trouve, etc.) et ce cacao a une valeur. Nous avons mis ceci en place avant
même que la régulation européenne soit mise en œuvre.
Pour nous, aujourd’hui, il s’agit de revenir vers le consommateur ou le pays importateur avec des
questions fondamentales : allons-nous continuer à vendre notre cacao à un prix qui est basé sur des
algorithmes, ou allons-nous vendre du cacao sur la base de sa valeur ? Sa valeur qui correspond à un
coût de production, un cout de conformité, à un revenu minimum vital qu’un planteur doit percevoir.
C’est ça la « décommoditisation ». Parce que nous ne pouvons parler de durabilité sans reconnecter
le cacao physique aux besoins fondamentaux de sauver la planète et les personnes. Car il n’y aura
pas de durabilité si nous ne prenons pas en compte l’aspect économique de toutes les filières
agricoles. Le cacao, mais aussi le café, la banane, l’huile de palme, etc..
Mais certains mettent en avant que le marché à terme représente une garantie, une assurance, de
bon fonctionnement des marchés et des filières. Il permet de financer la campagne à venir, etc.
Donc, comment très concrètement pourrait-on arriver à décommoditiser les produits ?
Que le prix du cacao ou le café soit fixé ou pas, il y a une question de garantie, effectivement. Mais
cette garantie ne doit pas être seulement sur l’acheteur, il y a le vendeur aussi. Et pour cela, nous
avons proposé et entamé des discussions avec la bourse, l’Intercontinental Exchange, sur une
révision des contrats à terme.
C’est-à-dire ?
Le coût de production doit être intégré dans les contrats. Pour la Côte d’Ivoire et le Ghana, nous
avons mis en place le différentiel de revenu décent, le DRD, qui a pour objectif de créer un revenu
décent. Nous devons trouver les moyens, avec tous les acteurs impliqués à la bourse, à les
sanctuariser. Si nous parvenons à sanctuariser les coûts de production et les autres coûts associés,
alors, la spéculation peut avoir lieu.
Financièrement ou techniquement, est-ce possible ?
Je pense que oui. Nous sommes tous d’accord sur un seul point : il nous faut des produits durables.
Or, le système actuel ne délivre pas la durabilité : un chocolatier ne peut prétendre faire de la
durabilité tout en payant peu cher son cacao. Cela ne peut pas fonctionner car le planteur n’est pas
motivé à mettre en place toutes les exigences d’un cacao durable.
Par exemple pour le blé, autre produit spéculatif, il n’y a pas ce genre de mécanisme…
Sur le marché du blé, les spéculateurs fonctionnent à partir de niveaux de prix subventionnés dans de
nombreux pays, ce qui permet de stabiliser le revenu du planteur. Or, nous nous n’avons pas ce
mécanisme là. Nous avons une chaine de valeur qui est très déséquilibrée et c’est cela que nous
devons revoir. Mais on ne peut pas le faire de façon unilatérale.

Les deux chefs d’Etat, Côte d’Ivoire et Ghana, m’ont donné mandat d’exécution de trouver les
solutions pour influencer de façon positive le positionnement de nos matières premières sur le
marché.
Vous souhaitez élargir l’Initiative. Au Cameroun notamment ?
Nous voulons élargir à tous ceux qui sont intéressés à rentrer dans cette démarche. Certains pays ont
montré un intérêt. Nous sommes toujours en discussion avec le Nigeria. C’est une question de
temps. Il ne faut pas commettre l’erreur de créer un club d’amis ; ce doit être un club stratégique.
Pour cela, nous devons travailler ensemble pour trouver des points communs et parvenir à des
accords sur des axes fondamentaux. Tout pays peut nous rejoindre mais nous attendons des
propositions très claires pour entamer ce genre de discussions.

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