Conférence café-cacao du CICC, Cameroun Climat, café, cacao : « Il faut observer pour mieux comprendre et donc prévoir »

 Conférence café-cacao du CICC, Cameroun Climat, café, cacao : « Il faut observer pour mieux comprendre et donc prévoir »

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C’est sous la houlette de pas moins de trois ministres du Cameroun – Agriculture et développement rural ; Commerce ; Domaines, Cadastre et Affaires foncières –, des responsables de l’Organisation Internationale du Café (OIC) et de l’Organisation Internationale du Cacao (ICCO), de l’Agence des Cafés Robusta d’Afrique et de Madagascar (Acram), ainsi que d’éminents chercheurs tant sur le cacao que le café, de chocolatiers de renom, et autres spécialistes et producteurs, que le Conseil Interprofessionnel du Cacao et du Café (CICC) a lancé mardi à Yaoundé une conférence scientifique internationale intitulée « Approche pratique d’adaptation de la culture du cacaoyer et du caféier aux changements climatiques » (Lire : Révolution au Cameroun : les filières café-cacao optent pour la phénologie). En définitive, 250 participants étaient attendus à la Conférence mais 340 sont en réalité venus, témoin de l’intérêt pour la problématique, dont 50 venant de 16 pays. CommodAfrica publie ainsi le premier article d’une série de quatre couvrant la conférence, qui seront suivis d’une série d’interviews de spécialistes présents à la Conférence scientifique du CICC à Youandé.

Cette première journée, mardi 6 juin, se voulait introductive à la réunion phare du lendemain durant laquelle le CICC présentait sa nouvelle approche pour que le producteur puisse faire face, sans tarder, aux dérèglements climatiques : au lieu de suivre à la lettre un calendrier agricole qui se décline en fonction des mois et saison, le planteur est appelé à observer son caféier et cacaoyer et à intervenir en fonction du comportement même de la plante.

C’est pourquoi la première journée de la conférence a été consacrée aux prévisions métrologiques, à l’impact du stress hydrique, aux différentes pistes pour gérer de façon optimale ses plantations dans un tel contexte climatique, mais aussi de questionnements sur la durabilité même de la production caféière et cacaoyère. Des résultats d’études épidémiologiques ainsi que des modèles prévisionnels ont été présentés.

Le Cameroun se prépare…

Avant de se plonger dans les considérations scientifiques, le Ministre de l’Agriculture a ouvert la conférence en rappelant que la préoccupation n’est pas nouvelle : dès 1965, le Président américain Lyndon Johnson avait mis en garde le monde contre le réchauffement climatique. Un réchauffement qui, a souligné le Ministre, se manifeste par une perturbation des dates de démarrage et de fin de campagne, de niveaux de pluies, de facteurs extrêmes comme les sécheresses, inondations, brulures de la plante, par la montée en puissance des pathologies, entrainant la perte de biodiversité, la dégradation des écosystèmes mais aussi les migrations de populations.

Face à cela, le Cameroun s’arme. Il a signé et ratifié toutes les conventions internationales (Kyoto, Paris), a créé un Observatoire national sur les changements climatiques (ONACC) et tente de collecter le maximum de données sur comment les cultures sont impactées. Et le pays cherche des solutions. Pragmatique, il sait que les producteurs n’ont pas les moyens financiers pour recourir à une irrigation massive. D’ailleurs, s’ils en avaient les moyens, l’impact serait négatif sur les ressources hydriques. Il faut donc chercher ailleurs. « Toutes les trouvailles scientifiques sont les bienvenues. Mais celles existantes sont soit trop chères, soit trop longues à mettre en place », a déclaré le Ministre, invitant les scientifiques à rechercher des solutions endogènes pour ses filières café et cacao qui doivent s’émanciper du calendrier agricole.

Les feux au Sahel sont devenus une réalité au Cameroun

L’enjeu est de taille, a rappelé le Directeur Général de l’ONACC, Joseph Amathée AMOUGOU. Le cacao est le premier produit agricole d’exportation du Cameroun, représentant 58 % de ses recettes agricoles totales, deuxième pourvoyeur de devises après le pétrole, impliquant 3 millions de personnes soit 10 % de la population camerounaise dans quasiment toutes les régions du pays.

Or, non seulement la distribution dans le temps des précipitations annuelles subit une très grande modification, mais les dates du début et de la fin de chacune des quatre saisons qui rythment la vie agricole camerounaise changent. « Il n’y a plus de certitudes avec le climat ; il est perturbé de façon permanente », a déclaré le professeur, précisant : « Les feux au Sahel sont devenus une réalité ici, au Cameroun. » Il faut donc renouveler chaque année les plants brulés.

Pour s’adapter aux perturbations climatiques, il faut disposer de données. Il existe sur le territoire national des stations météorologiques, mais il en faut davantage. Des satellites des agences spatiales européennes et américaines œuvrent, mais il faut davantage de précisions. « La situation change toutes les dizaines de kilomètres… », rappelle-t-il.

Ceci dit, on arrive déjà à prédire ce qu’il va se passer dans les zones agricoles, ce qui permet de créer un calendrier et d’élaborer le « profil climatique » d’une région rappelant ce qu’il s’est passé les années antérieures mais aussi prévoir et alerter. Tous les trois mois, un bulletin d’alerte est publié.

Mais tout le monde ne le reçoit pas et tout le monde ne le lit pas, convient le patron de l’ONACC. Il attire aussi l’attention sur l’importance « d’entrer dans la modernité » en ayant recours aux assurances. « Si les assurances interviennent dans le coton, elles peuvent œuvrer dans le cacao et le café. »

Un besoin insatiable de recherche

Au cœur des informations indispensables se trouvent les sciences météorologiques. Dans ses travaux de modélisation des impacts du changement climatique, Pietro Della Sala de Climate42 basé à Bordeaux, s’est penché sur l’impact de la sécheresse sur la respiration de la plante dans la cacaoculture au Ghana. Et le scientifique de s’interroger devant le parterre à Yaoundé : « Comment la transpiration du cacaoyer est-elle impactée par le sol ou par le stress atmosphérique ? Lequel est plus important ? Interagissent-ils ? », avant de rappeler que l’irrigation n’annule par le stress hydrique mais permet seulement d’étendre la période de production sur l’année.

Bref, devant ce parterre scientifique, le chercheur a lui aussi appelé à « plus d’études, notamment sur l’interaction entre l’humidité des sols et la sécheresse atmosphérique. Et sur le long terme, il faut étudier les conséquences de chaque saison. Car un calendrier agronomique dynamique doit tenir compte du climat mais aussi de la physiologie de la plante ».

Tout n’est pas lié au changement climatique

Ce sera, in fine, un des enseignements de cette première journée de conférence scientifique sur les défis des cultures du cacao et du café : tout n’est pas lié qu’au climat. Le second enseignement étant, sans aucun doute, qu’« il y a beaucoup de choses qu’on ne connait pas », résume d’emblée, humblement, Arona Diedhiou, spécialiste du système climatique africain et directeur de recherche à l’Institut des Géosciences de l’Environnement (IGE) de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) en Côte d’Ivoire. Il est aussi membre de l’interface sciences-politique (le SPI) de la Convention des Nations Unies sur la Lutte contre la Désertification (UNCCD).

Sur les liens entre climat et café, très peu de recherches ont été faites sur l’humidité des sols. Pourtant, c’est fondamental, rappelle le professeur, car « certaines régions deviendront impropres à la caféiculture mais d’autres deviendront propices. » En outre, l’humidité des sols impacte différemment l’Arabica et le Robusta : « En 2050, il y aura plus de terres propices à la production d’Arabica que de terres propices au Robusta », souligne-t-il.

Or, l’humidité des sols est liée, certes, au climat mais aussi à la déforestation, réduisant la biodiversité, perturbant l’équilibre écologique et impactant, in fine, les prix du café et cacao, précise Arona DIEDHIOU. Cette déforestation est largement due à l’homme et non pas tant au climat. Quant à la situation agricole difficile, elle est davantage le fait des ravageurs et maladies car « toutes les conditions sont réunies » pour leur prolifération », mais aussi aux mouvements des personnes et des cultures.

Mais qu’importent les origines, la menace climatique est malgré tout bel et bien là. Il y a, d’ailleurs, de nouvelles menaces, indique le professeur : « Avant, il y avait des extrêmes. Maintenant, avec le changement climatique, on a des extrêmes composées, par exemple, pluie et température. En outre, la sévérité des changements s’accentue. »

Cette pluralité de causes et de situations requiert davantage d’études fines, plus proches des spécificités de chaque zone et situation. Car, « comment décider dans un contexte d’incertitudes ? », s’interroge Arona DIEDHIOU.  « Le défi aujourd’hui est d’avoir des données propres à nos régions. Car il faut observer pour mieux comprendre et donc prévoir. Ce qu’il nous manque, ce sont les données », résume-t-il.

L’importance d’aller au-delà du seul facteur climatique pour bien comprendre l’évolution des cultures et donc être mieux armés pour combattre les changements, s’est révélée être un point fort de cette première journée de conférence. D’ailleurs, l’histoire géographique millénaire des cultures du café et du cacao enseigne combien « les grandes maladies des caféiers et cacaoyer ont façonné les aires actuelles de production » mais aussi « les histoires des hommes » ont aussi été à l’origine des mutations géographiques des cultures, a expliqué Christian CILAS, chercheur au CIRAD et Directeur régional Afrique de l’Ouest du centre de recherches français. Dans l’histoire du café, c’est sans doute « les insectes, les scolytes, qui se sont répandues plus largement que les maladies et les hommes qui les ont véhiculés. » Ceci dit, ce sont bien les dérèglements climatiques conjugués à la déforestation qui font souvent exploser telle ou telle maladie, comme dans le cacao en Côte d’Ivoire dans les années 2000, précise le professeur.

Une solution : écouter la plante

Comment faire face à tout cela ? « Il faut aller dans son champ et examiner chaque plant de caféier ou de cacaoyer. Les planteurs connaissent leurs plants. Ils doivent être maître de leur plantation. Il ne faut plus être sourd au langage des plantes », propose Joseph Mouen BEDIMO, Ex-Directeur Général Adjoint de l’Institut de Recherche Agricole pour le Développement (IRAD) du Cameroun, levant ainsi le voile sur la nouvelle stratégie du CICC qui reposera dorénavant sur la phénologie.

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