Ismail Sentissi d’AgDevCo : « Sans capital patient, les PME agro-alimentaires n’ont pas le temps de développer les bons procédés, acquérir les bonnes compétences».

 Ismail Sentissi d’AgDevCo : « Sans capital patient, les PME agro-alimentaires n’ont pas le temps de développer les bons procédés, acquérir les bonnes compétences».
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AgDevCo est un investisseur spécialisé dans l’agro-alimentaire en Afrique, basé à Londres, Accra, Nairobi et Cape Town, avec $280 millions sous gestion. Présent surtout en Afrique de l’Est et Australe et dans les pays d’Afrique de l’Ouest anglophone (Ghana et Sierra Leone), AgDevCo ambitionne de se déployer en Afrique francophone depuis 2018/19 où le fonds a fait deux investissements en Côte d’Ivoire. Tour d’horizon avec l’interview exclusive à CommodAfrica d’Ismail Sentissi, directeur des investissements pour l’Afrique de l’Ouest pour AgDevCo.

Le financement de l’agriculture et de l’agro-industrie en Afrique de l’Ouest, et plus généralement en Afrique, est largement insuffisant. Quelles réponses y apportez-vous ? Et plus généralement, quels sont les autres  freins à l’investissement dans l’agriculture et comment y remédier ?

Les entreprises agroalimentaires ont besoin de capital patient, pour développer des activités sur de longues périodes, allant souvent au-delà de ce que les banques ou les fonds d’investissement sont prêts à financer. Ce secteur nécessite également des connaissances techniques et de la flexibilité pour s’adapter à la saisonnalité, aux cycles et aux défis naturels des entreprises. C’est pourquoi AgDevCo a levé des capitaux de long terme et développé une expertise sectorielle lui permettant de fournir aux entreprises africaines le financement et l’assistance technique nécessaires pour se développer durablement.

Dans le secteur agro, il suffit parfois d’une mauvaise saison  pour mettre en péril la société. Sans capital patient, les PME agro-alimentaires n’ont pas le temps de développer les bons procédés, acquérir les bonnes compétences, et de surmonter les challenges qu’elles rencontrent

L’agriculture et l’agro-industrie en Afrique de l’Ouest, et plus généralement en Afrique, sont-elles plus risquées que sur d’autres continents ?

Je préfère parler de spécificités plutôt que de risque.

L’Afrique de l’Ouest et plus généralement le continent Africain ont des spécificités en termes de climat, de sols et de marchés qui diffèrent des autres régions du monde. Celles-ci exigent des connaissances et des compétences spécifiques qui nécessitent du temps, des financements et un soutien technique appropriés.

Ces défis et différences avec le reste du monde impliquent également des opportunités de croissance importantes, car les marchés locaux africains ont plus de potentiel de croissance qu’ailleurs, et les marchés internationaux cherchent de plus en plus à diversifier leurs approvisionnements et à sourcer de manière plus durable à partir d’origines plus proches.

Les aléas, par exemple climatique, semblent toutefois plus prononcés que dans d’autres secteurs ? De même, on voit qu’avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’accès aux intrants, déjà tendu, s’est accentuée, les surcoûts sont apparus aux niveaux du carburant, de la logistique, ce qui a impacté l’agriculture africaine et révélé une fragilité ?

Oui et cela se voit à travers le coût d’importations d’engrais, de produits alimentaires, cela devient plus cher de produire ou de s’alimenter. C’est difficile pour les petits agriculteurs en particulier d’avoir une vision de long terme. Beaucoup d’entre eux se voient contraints de faire des choix économiques de court terme en fonction des prix chaque année et de ce qu’ils produisent, alors qu’ils ont parfois des cultures de long terme, comme le cacao ou l’hévéa, qui requièrent une vision sur de nombreuses années.

Quelles sont les filières et agro industries en Afrique de l’Ouest qui vous semblent le plus porteuses en Afrique de l’Ouest ?

Nous voyons un besoin évident de développer un approvisionnement et une transformation durables des principales cultures de plantation en Afrique de l’Ouest (cacao, noix de cajou, caoutchouc et palmier à huile) pour capter plus de valeur sur le continent.

Il existe également un potentiel important d’amélioration des rendements dans le secteur de la production primaire grâce à une utilisation plus efficace et durable des intrants agricoles, et c’est ce que nous visons à promouvoir grâce à notre investissement dans Afrique Phytos plus (Lire : En Côte d’Ivoire, investissement de €5,5 millions d’AgDevCo dans Afrique Phytos Plus). Nous voyons également un potentiel dans les secteurs avicole et aquacole, pour fournir des protéines de haute qualité produites localement à un coût abordable.

Vos investissements sont plutôt orientés sur le long terme et pour développer une agriculture commerciale, quels engagements avez-vous vers l’agriculture familiale qui est de loin très majoritaire en Afrique de l’Ouest ?

Une partie importante de notre portefeuille est constituée d’entreprises locales s’approvisionnant en une grande variété de cultures (des céréales au café en passant par le coton biologique et le sésame) auprès de petits exploitants agricoles. Ce sont des entreprises à fort impact qui aident à organiser les agriculteurs en groupes ou en coopératives et à mettre en œuvre des programmes de certification et de traçabilité pour maximiser la valeur captée par les agriculteurs locaux.

En plus du financement, nous sommes en mesure d’offrir une assistance technique à des conditions subventionnées à ces entreprises pour financer des activités bénéficiant directement aux petits agriculteurs (formations, certifications, programmes de traçabilité).

La hausse des prix alimentaire en 2022 dans le prolongement de la  Covid et du conflit russo-ukrainien donne-t-elle une impulsion pour investir dans l’agriculture et l’agro-industrie pour contribuer à accroître la sécurité alimentaire en Afrique ?

Cette situation crée en effet une incitation supplémentaire à produire localement en Afrique. En même temps les coûts de production et de logistique ont augmenté et impliquent un besoin de capital patient encore plus important pour permettre aux agro-industries locales de surmonter ces défis. Nous avons continué à investir tout au long de cette période et avons l’intention de développer davantage nos activités en Afrique dans les années à venir.

En 2008-2010 avec la flambée des prix, notamment du riz, où des émeutes de la faim ont été observées dans certains pays africains, on a beaucoup dit que l’Afrique devrait investir dans son agriculture.  Cela se répète-t-il  aujourd’hui ?

Ces facteurs peuvent créer  une impulsion. Pour que cela débouche sur la construction de filières robustes et durables, il faut que cette impulsion s’accompagne d’investissements de long terme, et que des compétences se construisent en parallèle. Notre rôle c’est d’être présent et de soutenir ceux qui voudraient investir dans ce contexte et construire des activités dans la durée.

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