Luc Magloire Atangana Mbarga : « Il faut discuter avec le marché car les comptes ne sont pas bons pour le producteur de cacao »

 Luc Magloire Atangana Mbarga : « Il faut discuter avec le marché car les comptes ne sont pas bons pour le producteur de cacao »
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Le prix du cacao ne peut plus continuer à être déterminé à la bourse de Londres et de New York. Il faut que cela cesse, a encore déclaré Luc Magloire Atangana Mbarga, ministre du Commerce du Cameroun depuis 2004, en marge de la Conférence scientifique internationale sur l’adaptation des cultures du cacao et café aux changements climatiques organisée à Yaoundé début juin par le Conseil interprofessionnel cacao et café (CICC) du Cameroun. Il a rappelé que le sujet du prix est longtemps resté tabou, l’industrie se réfugiant derrière la loi anti-trust qui interdit les ententes sur les prix entre entreprises. Mais la loi antitrust n’interdit pas la discussion entre pays producteurs, l’industrie et le marché, rappelle-t-il, comme cela a été fait en 2017 : « Le Cameroun avait pris l’initiative de poser cette question du prix au producteur. La réponse fut sèche de la part de l’industrie qui estimait que le Cameroun avait tout faux parce qu’on ne parle pas de prix au nom de la loi anti-trust. Mais nous ne nous sommes pas laissés démontés et nous avons bénéficié du concours actif de notre partenaire de l’UE qui a préconisé un dialogue entre les différents maillons de la chaîne et les institutionnels. C’est ce qui a donné lieu à ce qu’on appelle aujourd’hui les « Cocoa Talks ». Ceci a permis que la notion du prix soit intégrée au cœur du débat. »

Interview exclusive du ministre Luc Magloire Atangana Mbarga par CommodAfrica à Yaoundé.

En marge de la conférence scientifique internationale sur l’adaptation des cultures du cacao et café aux changements climatiques qui s’est tenu en juin au Cameroun, à laquelle ont assisté des responsables de Côte d’Ivoire et du Togo notamment, vous avez indiqué avoir « beaucoup travaillé avec les représentants de ces deux pays ». Qu’est-ce à dire ?

Il faut remonter à l’Initiative conjointe Côte d’Ivoire-Ghana-Union européenne sur le prix décent. Cette Initiative, en fait, résulte de cette rencontre en 2017 à Bruxelles où la question du prix avait été mise sur la table, notamment à l’initiative du Cameroun. Mais il se trouve qu’au moment final, le Cameroun n’a pas été dûment intégré dans les discussions. On a rattrapé cela depuis fin 2021. Cette Initiative se poursuit entre la Côte d’Ivoire, le Ghana et le marché. Le Cameroun n’a pas encore intégré, en réalité, le processus bien qu’il soit engagé.

L’idée est de faire bloc, de pouvoir mettre ensemble le Cameroun, la Côte d‘Ivoire, le Ghana et le Nigeria qui représentent 80% de la production mondiale. Le marché ne peut pas ignorer ce poids de la production. Il faut pouvoir trouver un juste équilibre entre la rémunération des intervenants, les exportateurs, les industries, les transformateurs, les transporteurs et le pauvre producteur qui demeure le maillon faible. Et pour cela, nous devons effectivement unir nos forces.

Nous avons pris la résolution d’engager et d’entreprendre un certain nombre de démarches de façon concertée. Pas simplement à l’égard de l’Union européenne (UE) mais l’UE est notre partenaire principal et c’est peut-être elle qui pose le plus de conditions aujourd’hui avec le nouveau règlement sur la déforestation, les considérations de durabilité, etc.

Donc les démarches doivent se faire avec l’Union européenne mais aussi avec l’ensemble des parties prenantes, sans demander que la rente soit entièrement versée au producteur mais seulement qu’il puisse y trouver son compte. Mais, en tous cas, en l’état, les comptes ne sont pas bons. C’est évident.

Les grands pays producteurs -Côte d’Ivoire, Ghana, Cameroun, Nigeria- ont des systèmes de prix au producteur très différents. Selon vous, une force accrue côté producteurs passe-t-elle nécessairement par l’harmonisation de leurs mécanismes de prix au producteur ? Ceci fait-il partie de vos négociations ?

On nous oppose souvent en nous disant que nous n’avons pas les mêmes systèmes et qu’il est, par conséquent, difficile dans le cadre de cette initiative de trouver les mécanismes qui conviennent à tout le monde.

A cela, je leur dis que la Côte d’Ivoire et le Ghana n’ont pas du tout le même système : la Côte d’Ivoire est dans un système mixte libéralisation-stabilisation ; le Ghana, dans un système de stabilisation pur et dur. Or, ils ont pu trouver ce mécanisme d’Initiative conjointe.

En réalité, ce qui est important est de s’accorder sur les déterminants, les différents coûts des facteurs et les différents process de coûts. Ensuite, on peut définir le mécanisme de rémunération. Après, on l’adapte, évidemment, au système de commercialisation des uns et des autres. Mais je ne pense pas que ce soit un préalable de dire qu’on s’accorde, d’abord, sur le système de commercialisation avant d’aborder la question de fond.

Les blocages viennent de l’industrie et du manque de transparence

Selon certains, tout ceci ne serait qu’une bonne raison pour demander à l’Union européenne une enveloppe financière supplémentaire conséquente pour parvenir à ce prix rémunérateur pour les producteurs…

L’UE est-elle un acheteur ? Non, c’est une institution facilitatrice. En fait, il faut pouvoir discuter avec le marché. Ce qui est essentiel, c’est d’intégrer le fait que les uns ont besoin des autres ! Je ne sais pas s’il existe un produit de substitution au cacao pour faire le chocolat. Ce débat a eu lieu il y a une vingtaine d’années. Je crois qu’on est revenu aux fondamentaux : la fève restera toujours la base à partir de laquelle on obtient le chocolat. Et la consommation de chocolat va se poursuivre.

Je m’excuse de le dire car les industries sont nos partenaires mais les blocages viennent, pour l’essentiel, de l’industrie. Il nous faut un système de marché plus transparent. On assiste parfais à des évolutions erratiques des cours parce que personne ne maitrise, en fait, les stocks. Autant les industriels savent ou ont une idée de la production et des projections de production, autant les producteurs ne savent pas quel est l’état des stocks. Donc il faut quelque chose de plus transparent, de plus lisible, de plus prévisible ainsi que de la bonne information. Je crois qu’il faut commencer par là. Il nous faut trouver un système, je ne sais lequel. Mais le marché manque fondamentalement de transparence.

Le patron de l’Organisation internationale du cacao évoque, comme d‘autres actuellement, l’importance de déconnecter le cacao, voire le café, des marchés financiers à terme. Selon vous, est-ce une solution ? Et est-ce faisable ?

Effectivement, une réflexion est en cours pour voir comment on peut sortir de la trop forte dépendance vis à vis des bourses. L’idée émise par certains -et c’est aussi une réflexion en cours- de créer une bourse africaine. Est-ce faisable ? Est-ce possible ?

Mais la logique serait la même, financière, que la bourse soit située en Afrique ou ailleurs…

Peut être serait-on beaucoup plus proche des réalités. Je n’en sais rien. Je crois qu’il faut laisser les gens discuter et travailler. Mais l’idée fondamentale est simplement d’intégrer au plus tôt la notion de partenariat et qu’on puisse discuter sur cette base. Je donne et je reçois en retour plutôt que de laisser libre cours à la spéculation. Car aujourd’hui, ce n’est ni plus ni moins, la spéculation. La bourse, c’est quoi ? La spéculation…Pas autre chose.

Ceci impliquerait d’avoir un « juste » prix pour le cacao. Or ce juste prix, est-ce la somme des coûts de production ? Assurer un niveau de vie décent au planteur ? Un prix auquel on trouve un acheteur ? Quel est le prix du cacao, en fait ?

C’est tout cela à la fois. Le producteur ne peut pas avoir une rémunération décente ni des conditions de vie acceptables s’il n’arrive pas à couvrir ses frais. Donc il faut pouvoir -là aussi, dans un système transparent, traçable- connaitre les différents coûts de production et ceux qui affectent le producteur. A partir de là, effectivement, on peut définir un seuil minimum de prix. Je crois qu’il faut partir de ça, un seuil minimum de prix en dessous duquel on ne doit pas aller. De là, les choses peuvent ensuite évoluer : on peut laisser libre cours à la concurrence mais à partir d’un seuil en dessous duquel on ne descend pas.

N’est-ce pas le rôle du gouvernement de protéger ses propres producteurs comme l’a fait l’UE avec la politique agricole commune vis à vis des producteurs européens ?

On a vu les limites de la PAC. C’est un coût pour les gouvernements. Je crois que la rémunération doit se faire à partir du marché. Encore une fois, j’insiste sur la notion de transparence, de régulation à partir du marché. Une activité basée uniquement sur les subsides, sur le soutien au producteur, avec les difficultés de trésorerie que connaissent les Etats même les plus développés, cela épuise le système.

Je ne pense pas que ce soit la solution. Il faut que les gens acceptent qu’il y ait de la transparence et qu’il y ait de l’équité. On me dira que je fais la morale. Mais ce n’est pas la morale. Si on ne le fait pas, peut-être trouvera-t-on des produits de substitution. Mais tel que l’avenir se présente, il m’étonnerait qu’on trouve des produits de substitution au cacao ou tout simplement aux spéculations agricoles. On aura toujours besoin des producteurs pour pouvoir nourrir l’humanité. Et si les agriculteurs sont découragés, comme sous d’autres cieux, qu’ils renoncent, que nous restera-t-il ? Mourir tous de faim ? Et « mourir de faim », c’est qu’on va tous crever.

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