Michel Arrion, directeur exécutif de l’ICCO : Il est faux de dire que les cours du cacao sont au plus haut depuis 46 ans !

 Michel Arrion, directeur exécutif de l’ICCO : Il est faux de dire que les cours du cacao sont au plus haut depuis 46 ans !

@ CommodAfrica

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S’ouvre aujourd’hui, au siège à Abidjan de l’Organisation Internationale du Cacao (ICCO), la 108ème réunion du Conseil, du Comité consultatif sur l’économie mondiale du cacao et des comités économiques et administratifs. Elle se déroulera toute cette semaine avec pour point d’orgue, demain, la célébration du 50ème anniversaire de l’organisation en présence du chef de l’Etat de Côte d‘Ivoire Alassane Ouattara.

Un demi-siècle marqué par un marché du cacao en pleine mutation avec une transformation des fèves qui s’accélère dans les pays producteurs, fruit d’un calcul politique mais aussi économique, et une consommation en hausse en Asie mais pas nécessairement par ceux auxquels on pense…

Son directeur exécutif Michel Arrion, réélu en avril dernier pour un deuxième mandat, s’insurge contre la désinformation actuelle : il est faux de dire que les cours du cacao sont  au plus haut depuis plus de 40 ans car un euro ou un dollar d’aujourd’hui n’équivaut pas à ceux d’il y a 40 ans !

Le spécialiste de nationalité belge analyse ce qui pourrait ou devrait entrer dans le calcul du vrai prix au producteur.  Un débat essentiel, qui sera porté haut et fort par le secrétariat de l’ICCO à la prochaine conférence mondiale du cacao qui aura lieu à Bruxelles en avril 2024 avec pour thème : « Payer plus pour un cacao durable ».

Entretien de CommodAfrica avec Michel Arrion à Abidjan, vendredi dernier.

 

Quelle est alors votre appréciation des cours internationaux aujourd’hui ?

Le niveau des prix sont beaucoup trop bas. Lorsque je parle des niveaux de prix, je parle des cours internationaux et qui sont fondamentaux puisque les prix payés aux paysans sont des pourcentages, 60% ou 70% ou 80%, du prix international. Il n’y aura pas d’augmentation du prix au paysan, sauf à subventionner massivement le secteur, sans une augmentation du prix international. Je crois qu’il faut absolument partir de ce point de départ. Et le problème des prix bas ne se résoudra pas à coup de primes ou à coup de 10 ou 20% d’augmentation.

Je suis révolté depuis quelques semaines de lire des dépêches des grandes agences de presse économique et financière internationales disant qu’on n’a jamais vu de prix aussi élevés du cacao depuis 46 ans. Même le Nasdaq a publié un article récemment dans ce sens… C’est complètement faux ! Car on est en train de comparer des pommes et des poires ! Le prix de votre maison a décuplé par rapport à celui auquel vos parents l’ont acheté il y a 45 ans. L’euro ou le dollar d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’il y a 45 ans !

Le prix du cacao aujourd’hui est quatre à cinq fois plus bas qu’il y a 46 ans ! Nous avons publié un démenti récemment sur les réseaux sociaux car il faut arrêter de dire des contre-vérités. Si je calcule en fonction de l’indice des prix à la consommation en Angleterre il y a 46 ans, le prix du cacao était 5 fois plus élevé à Londres, en livres sterling constantes qu’aujourd’hui.

Pour vous, la vraie valeur du cacao, quelle est-elle ? Le marché est tout de même déficitaire et devrait l’être sur trois campagnes consécutives…

Trois, je ne suis pas sûr, mais deux sans doute. Et peut-on vraiment parler de déficitaire lorsqu’on est à 2% ou 3% en moins ? Franchement, on est proche de la marge d’erreur des statistiques…

La Côte d’Ivoire joue un grand rôle dans ce jeu d’équilibre, voulant stabiliser ces exportations à 2,2 millions de tonnes…

Oui, la Côte d’Ivoire y arrive et c’est très bien. Je pense qu’il faut soutenir cette politique. C’est très raisonnable et bénéfique pour l’ensemble de la filière car il est certain que le prix en Côte d’Ivoire fait en grande partie le prix dans le monde. Et dans le cadre de cette Initiative commune Côte d’Ivoire-Ghana pour le cacao durable, les deux pays sont en train d’harmoniser leurs politiques, leurs approches, leurs messages, leurs objectifs.

Je pense que le Ghana est aligné sur la Côte d’Ivoire, même s’il a des problèmes un peu différents notamment à cause de l’impact du swollen shoot sur la production mais aussi de destruction des plantations par les chercheurs d’or. On voit malheureusement certains planteurs vendre ou abandonner leurs plantations à des gens qui arrivent avec des bulldozers pour retourner la plantation et extraire quelques grammes d’or. Malheureusement, les régions aurifères correspondent aux régions de cacao.

Troisièmement, il semblerait que le Ghana soit un peu plus sensible aux effets d’El Niño que la Côte d’Ivoire, pourtant pays voisin. Le Ghana connait des périodes de sécheresse un peu plus longue.

La financiarisation de la filière, en ce périodes d’endettement excessif du Ghana, n’a-t-elle pas aussi un impact ?

C’est une décision du gouvernement de garder la gestion des achats et de la vente du cacao au niveau du Cocoa Board : ils n’ont pas voulu libéraliser. Cela pose peut-être parfois des soucis au niveau des crédits de campagne et l’obligation de l’Etat ghanéen d’intervenir. Mais je ne pense pas que ce soit fondamentalement différent des priorités et des objectifs de la Côte d’Ivoire qui je le répète sont bien alignées entre les deux pays.

« « Payer plus pour un cacao durable »,

thème de la prochaine conférence mondiale de l’ICCO

 

Alors, selon vous, quel est le prix réel du cacao qui donc n’est pas au zénith ?

Au Secrétariat de l’ICCO, nous préparons la prochaine conférence mondiale du cacao qui aura lieu à Bruxelles en avril 2024. Nous avons choisi un titre un peu provocateur : « Payer plus pour un cacao durable », « Paying more for a sustainable cocoa », pour bien expliquer qu’il n’y aura pas de solutions aux problèmes de durabilité du cacao si les prix internationaux du cacao ne connaissent pas une augmentation sérieuse.

Parmi les différents panels que nous allons organiser lors de cette conférence, un s’appellera « the true cost of cocoa », « le vrai coût ou le vrai prix du cacao ».

Alors, je ne vais pas répondre à votre question sur ce que devrait valoir le cacao mais je voudrais dire qu’il y a plusieurs façons d’aborder le vrai coût du cacao.

Le vrai coût ou le vrai prix ?

On espère que le prix reflète le coût et que le prix n’est autre que le coût plus une petite marge…

Mais lorsque le prix est fixé sur un marché financier spéculatif…

Justement, cela revient à mon propos : il faut savoir de quels coûts on parle. Il y a deux approches. Quel devrait être le vrai prix du cacao si on dit que le prix du cacao devrait être stable, c’est-à-dire si je prends le prix du cacao d’il y a 50 ans, et que j’applique l’inflation. J’arriverais à un prix aujourd’hui qui serait environ cinq fois plus élevé que l’actuel.

Si je prends l’approche par les coûts directs et indirects, quel est le coût de la production de cacao ? C’est extrêmement difficile à déterminer, ne serait-ce que les coûts directs. Quelle est la valeur de la terre ? La valeur du travail ? La valeur d’un arbre ?

Et on peut encore complexifier davantage en tenant compte des amortissements des investissements publics et des coûts indirects. Quel est le coût de l’entretien d’une plantation ? Quel est le coût des services sociaux nécessaires au bien-être des communautés cacaoyères ? Notamment, quel est le coût du maintien d’une espérance de vie décente et d’un taux de scolarité satisfaisant ?

Et il y a tout le reste ! Quel est le coût de l’amortissement des pistes qui permettent de transporter le cacao ? Donc, il y a toute une série de coûts pour la collectivité qu’on peut identifier

On pourrait aussi ajouter le coût des émissions des gaz à effet de serre, tout au long de la chaine logistique ? Le coût social et environnemental des personnes qui utilisent de mauvais pesticides ou insecticides ? Et quel est le coût de la non diversification ?  La monoculture a des implications sur la biodiversité, le niveau de ressources du producteur mais aussi de sa femme, de sa famille, de son voisin, de sa communauté.

Il existe donc de très nombreux facteurs à prendre en compte afin de calculer le coût indirect de la production de cacao.

Donc on ne peut pas déterminer un prix ?

Si, mais c’est un exercice très compliqué et qui prend en considération des composantes de prix indirects qui sont très difficiles à chiffrer.

Et le consommateur dans tout cela ?

Il existe des études sur la disponibilité des acheteurs à payer plus cher leur produit et à contribuer ainsi à une rémunération équitable. C’est tout le combat du Fairtrade, des produits équitables, du mouvement des Chocolatiers engagés, par exemple. Ils recherchent que soit payé un prix décent. On voit cela sur le marché des bananes, du café, notamment. D’ailleurs, le cacao est un peu en retard par rapport au développement de ces certifications, sans parler des produits biologiques. Il y a encore beaucoup à faire. Mais on voit combien le développement de ces segmentations est aléatoire car durant ces périodes d’inflation, les marchés biologiques, notamment, chutent.

Donc, il ne faut pas aller trop vite en besogne et croire que tous les consommateurs américains ou européens sont prêts à payer leur chocolat plus cher. Ce n’est pas vrai. Il y a de vrais problèmes de pouvoir d’achat chez le consommateurs américain ou européen car beaucoup de pauvres se développent aussi dans les pays développés. On constate l’essor des chaines de distribution à bas prix qui ne cessent de prendre des parts de marché avec des produits à très bas prix. Malheureusement, le chocolat fait souvent partie de ces produits sans marque, qui sont bradés.

Quelle est la perspective de développement des marchés asiatiques car on y beaucoup cru il y a quelques années…

Il y a eu le mythe de la Chine, c’est très clair. Il y a 10 à 15 ans, on a cru trop vite que tous les Chinois allaient se mettre à manger du chocolat, ce qui n’a pas été le cas alors qu’ils se sont mis à boire du vin ou à acheter des voitures. Le problème des produits alimentaires est que c’est très culturel : on ne change pas les habitudes alimentaires comme les habitudes pour les biens manufacturés, les smart phones, etc.. L’Inde offre sûrement un très gros potentiel de développement.

Cependant, certains marchés asiatiques, comme le Japon et la Corée du sud, sont totalement différents et ont connu le même développement qu’en Europe ou aux Etats unis.

En fait, on a vu se développer fortement le marché asiatique du broyage, des produits transformés et du cacao comme ingrédient. Donc ce qu’on voit est non pas la consommation de chocolat mais de cacao sous forme d’ingrédient, surtout de poudre pour être incorporé dans des biscuits ou des produits laitiers, créant ainsi des excédents de beurre de cacao qui sont réexportés, notamment en Europe. On voit en Asie à la fois la production de cacao diminuer, les importations de cacaos africains ou équatorien augmenter, les broyages fortement augmenter (un million de tonne de fèves, c’est 20% du marché de la transformation). A côté de cela, en termes de broyages, l’Amérique du Nord a un peu baissé et l’Europe est stable avec un peu d’augmentation.

Aujourd’hui, 40 à 50% de la production

 est transformée dans des pays d’origine

C’est surtout en Côte d’Ivoire où cela a beaucoup augmenté…

Bien sûr, car si les broyages se stabilisent en Europe, ils augmentent en Côte d’Ivoire. Ce qui est, normalement, une bonne chose pour tout le monde puisque, en exportant les fèves vers leurs centres de broyages en Europe ou en Amérique, les grandes sociétés américaines et européennes transportent de l’eau et des déchets à hauteur de 15 à 20% du poids. Donc, autant faire la première transformation ici, en Afrique de l’Ouest, même si ça pose certains problèmes de conservation, de stockage, de logistique. Tout le monde sait que c’est conceptuellement plus intelligent de faire la première transformation à l’origine qu’ailleurs, si on a de l’énergie, si on a de la main d’œuvre qualifiée, etc. Aujourd’hui, entre 40% à 50% de la production mondiale de cacao est transformée dans des pays d’origine si on ajoute l’Indonésie et la Malaisie à la catégorie des pays d’origine alors qu’on sait qu’ils broient des fèves qui ne sont pas de chez eux. Les chiffres sont un peu biaisés par ça également.

Pour revenir à l’Asie, elle a connu d’abord une immense augmentation de ses capacités de première transformation et, par ailleurs, de production de confiseries, de produits chocolatés, de cacao utilisé comme ingrédient, de produits laitiers à base de cacao, de yaourts et de crèmes glacées, de biscuits au chocolat, etc. Donc on voit une augmentation constante de consommation de chocolat sous forme d’ingrédients en Asie. Du chocolat, je n’irais pas jusque-là.

On voit des chocolatiers sur certains marchés de niche, au Japon et en Corée, mais aussi à Bali. Mais c’est beaucoup une économie de tourisme : ce sont les consommateurs américains, européens, etc. en voyage dans ces pays, qui mangent du chocolat « bean to bar ». La consommation locale est aussi une consommation de tourisme.

Dans votre boule de cristal, quels seraient les prix pour 2023/24 ?

Ce n’est pas la boule de cristal car nous faisons des projections officielles que nous allons partager avec nos membres cette semaine. Nous sommes très prudents. Nous pensons que les tendances actuelles vont sans doute se maintenir quelque temps encore, avec des incertitudes au niveau de l’offre globalement, avec des prix qui vont se maintenir à des niveaux relativement élevés pour la prochaine campagne. Mais je me garderais bien de faire la moindre prévision au-delà des six mois qui viennent. Et par définition, je n’ai pas de boule de cristal !

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