Parole d’Expert – Armand Ezerzer

Coton : une pilule amère

Armand Ezerzer est président de Mambo Commodities, entreprise de négoce de coton et de production d’engrais

“Pâques est la commémoration d’une résurrection quand beaucoup aujourd’hui appellent de leurs vœux une renaissance ; le Monde n’est plus à un paradoxe près.

L’univers cotonnier est cette semaine l’exemple type du statu quo qui, selon nous, guidera la sortie de la crise sanitaire.

Se réinventer dans un temps aussi contraint est une gageure. Nous en voulons pour preuve le rapport WASDE publié hier par l’USDA, qui est revenu sur son schéma traditionnel de prévision pour nous expliquer que les choses continuaient leur petit bonhomme de chemin, quand bien même la moitié de l’humanité est à l’arrêt.

Sans forcer le trait du cynisme on peut constater que pour les États Unis les objectifs 2019/2020 sont atteints : une récolte record, des exportations qui n’ont jamais fléchi mais réparties de manière plus harmonieuse vers les différents pays de consommation de coton brut. Donc tout va bien, même s’il faut réduire la consommation globale tous pays confondus.

Malheureusement, une photographie avec un angle un peu plus large nous donnera l’étendue des dégâts réels :

– Mis à part les USA, les récoltes de coton ne se sont pas bien vendues pour un nombre important de pays producteurs.

– Le fait que le marché financier ne prenne en considération que les cotons américains va avoir des conséquences inattendues :

  • L’absence de stocks à porter aux États-Unis fera que les cours de bourse à court et long terme             seront à des niveaux sensiblement équivalents. Alors que les stocks à porter dans le reste du monde vont être très élevés.
  • Nous estimons la baisse de la consommation due au CoronaVirus à près de 25% dans un marché déjà excédentaire. Cependant, les USA ne cessent de rappeler à la Chine son engagement pris lors de la signature de la phase 1 du traité de paix dans la guerre commerciale qui les a opposé durant de longs mois : l’achat massif de produits agricoles américains. Face à un tel scénario; le marché pourrait se reprendre pour atteindre le prix de production des États Unis. Mais l’anémie de la demande résiduelle provoquerait une guerre des prix du coton, produit dans le reste du monde, dont on connaît l’issue pour les pays aux économies les plus faibles.

– Les annulations de produits manufacturés en coton ont tendance à s’amplifier jour après jour et devrait continuer dans les mois qui viennent. En effet, qui peut penser qu’en période de récession économique planétaire la reprise pourrait d’abord toucher le textile. La relance par la production de masques ne suffira pas !

Quelles sont les alternatives dans un tel contexte ? La BCE semble appeler l’inflation de ses vœux, ce qui peut apparaître comme une hérésie quand on sait que l’épidémie est mondiale et que l’inflation frapperait durement les économies les plus fragilisées. Les prémices d’une hausse des prix des produits de base alimentaire comme le riz nous rappellent les jours sombres des émeutes de la faim il n’y a pas si longtemps.

Dans ce nouvel environnement la flambée des achats d’armes, notamment en Amérique, est également un signe inquiétant à prendre en considération.

Il ne s’agit pas ici de dessiner en filigrane un scénario d’apocalypse, mais juste de tirer une sonnette d’alarme pour tenter de trouver des solutions alternatives durables pour une industrie qui risque de souffrir durablement de ce virus.

Un signe qui ne trompe pas est le message de l’International Cotton Association qui a écrit à tous ses membres pour prêcher la compréhension réciproque et le dialogue entre les différents intervenants afin d’éviter une situation irréversible pour tous les acteurs qui sont liés par un fil invisible”.