Parole d’expert – Armand Ezerzer

PDG de Mambo Commodities -France

 

Repenser l’approvisionnement en engrais en Afrique de l’Ouest

Tous les problèmes d’approvisionnement d’engrais cette saison en Afrique de l’Ouest éclairent d’une lumière crue la problématique de la fertilisation des sols dans cette région du monde qui manque cruellement de moyens pour enrichir des sols très pauvres. À  l’instar de la situation dans certains pays de la région le mal est protéiforme pourtant les remèdes existent et sont, somme toute, simples et peu couteux, pour peu que l’on accepte de les identifier.

L’Afrique de l’Ouest, n’est pas à proprement parler, productrice d’engrais. Seul le Togo et le Sénégal possèdent des réserves de phosphate de bonne, voire de très bonne qualité, mais le coût des investissements pour maintenir et moderniser ou tout simplement construire des usines permettant de transformer le matériau brut en engrais est pour le moment rédhibitoire. Dans le reste de la région, les produits de  base sont non solubles renchérissant considérablement les velléités d’exploitation. Le Nigeria fort de ses réserves en gaz a investi dans la production de produits azotés, mais les besoins énormes en engrais de ce géant hypothèquent les perspectives d’exportation.

La parcellisation des surfaces emblavées ne permet pas d’imaginer une importation en direct d’engrais. La seule solution reste les commandes groupées ou que des groupements publics, privés ou mixtes importent via des appels d’offres. Mais encore faut-il que le système bancaire local s’adapte aux besoins du marché international en permettant notamment un accès aux devises (dollar et euro) dans des conditions acceptables.

Des appels d’offres internationaux  inadaptés

Tous les pays de la sous-région organisent pour couvrir leurs besoins en engrais des appels d’offres internationaux. Cependant dans un souci de transparence louable et nécessaire s’est créé un système dangereux et contre-productif pour les paysans.

En effet, dans le cadre de ces appels d’offres,  les soumissionnaires doivent s’engager sur la livraison de plusieurs millions d’euros de marchandises parfois plus de six mois après la soumission et dans tous les cas maintenir l’offre pendant plusieurs mois. Cette situation est génératrice de nombreux maux car la fluctuation des cours des engrais est incessante et impossible à couvrir sur une si longue période.

Dans la pratique que se passe-t-il ? Les soumissionnaires font des offres, de préférence au niveau le plus bas possible au moment de la soumission et prennent « leur chance » dans tous les cas les cautions bancaires demandées dissuadant tous les participants de se rétracter. Si l’on est adjudicataire, il faudra trouver d’autres solutions sur la qualité du produit, son poids voire en retardant la livraison en espérant que le marché international retrouvera un niveau permettant la rentabilité du marché remporté. Cependant le report de livraison peut avoir des conséquences catastrophiques dans une zone où l’agriculture est pluviale…

Raccourcir les délais de validité des offres permettrait mécaniquement de limiter l’exposition des soumissionnaires et ainsi de permettre d’éviter une prise de risque déraisonnable.

Un système bancaire à améliorer

L’isolement des banques d’Afrique de l’Ouest leur a permis d’échapper à la crise de 2008 mais pour autant la difficulté pour les sociétés africaines de « couvrir » convenablement le risque de change amplifie le point précédent.

En effet, les soumissionnaires sont dans l’obligation de vendre et de se faire payer en francs CFA. Or, cet équivalent euro est pour le moment déconnecté du marché des engrais qui comme celui du fret se traite en dollar. Ainsi lorsqu’un participant à un appel d’offres s’engage à livrer dans six mois une marchandise, il prend non seulement un risque jusqu’à l’adjudication sur la valeur des intrants en dollar puis sur la parité avec l’euro pendant toute cette période.

Pour couronner le tout il faut se rappeler que les banques en Afrique ont des difficultés à trouver des euros et que bien souvent elles sont obligées de faire payer une prime sur les liquidités en euros pour payer les fournisseurs. Prime qui est loin d’être symbolique !

Bien entendu cette réflexion ne se veut pas exhaustive sur un sujet aussi vaste.  Mais quand on sait que pour cette campagne entre le moment où les appels d’offres ont été passés et le moment où les adjudications ont été publiées, le prix des engrais a augmenté en francs CFA de près de 30% on comprend mieux la situation actuelle et les tensions qui s’ensuivent.

La mise en place de réseau de distribution fiable et contrôlable, la refonte du système d’appel d’offres en les déconnectant du code des marchés publiques (sans pour autant un retrait des autorités de contrôle étatiques pour assurer la bonne tenue des marchés), un environnement bancaire responsable pour un marché vital, pour un revenu agricole pérenne et une autosuffisance alimentaire, sont autant de pistes à étudier rapidement.