Côte d’Ivoire – Souleymane Diarrassouba : “On ne peut rester les bras croisés et subir le marché”

 Côte d’Ivoire – Souleymane Diarrassouba : “On ne peut rester les bras croisés et subir le marché”

Côte d’Ivoire – Souleymane Diarrassouba : “On ne peut rester les bras croisés et subir le marché”

Avec 47% de la production mondiale, la Côte d’Ivoire est confortablement assise dans le siège du conducteur du marché mondial du cacao. Chacune de ses déclarations, de ses initiatives, chaque événement climatique, social ou politique se ressent sur le marché. Pourtant, elle estime ne pas avoir de mainmise sur ce marché. Une situation qu’Abidjan entend changer.

Pour la deuxième campagne consécutive, la Côte d’Ivoire s’achemine vers une récolte record d’environ 2 millions de tonnes (Mt), s’affirmant plus que jamais comme le leader mondial sur la scène du cacao. Destin imparable des marchés de matières premières, le poids du cacao ivoirien est tel dans l’offre mondiale que ce succès a pour corollaire d’avoir contribué à la chute des cours mondiaux, même si ces derniers se sont ressaisis depuis fin janvier. Une chute qui impacte tant le planteur ivoirien que les finances publiques ivoiriennes au moment où le pays est en pleine mutation.

Alors, que fait la Côte d’Ivoire fasse à cette situation ? Selon certains, elle aurait pour objectif une production qui redescende et se stabilise aux alentours des 1,8-1,9 Mt. Sur les 10 dernières années elle est passée de 1,6 Mt à plus de 2 Mt en 2016/17 ; elle est attendue par le Conseil du café-cacao (CCC) à 1,9 Mt cette campagne 2017/18.

Ceci dit, le ministre de l’Agriculture, Mamadou Sangafowa Coulibaly, interrogé par CommodAfrica (lire son interview), se défend d’avoir des objectifs chiffrés. «Sur les 5 prochaines années, il s’agit de produire mais de produire mieux. On n’ose pas s’avancer sur des objectifs de volumes ; nos objectifs vont toujours tenir compte de la demande internationale de cacao.» Mais de préciser, «Notre production restera dans la tendance qu’elle a connu ces 5 dernières années, mais elle va s’infléchir du fait des vastes programmes que nous sommes en train de mener

@La Mandarine, Bertrand Boissimon

Un impact automatique à court terme

Ces programmes comprennent tout d’abord l’éviction des cacaoculteurs qui, illégalement, cultivent dans quelque 200 parcs nationaux et forêts protégées de Côte d’Ivoire. Ceci représenterait environ  7 000 producteurs et, selon certaines estimations, jusqu’à 30 voire 40% de la production nationale. Un enjeu de taille. «D’ici cinq ans, nous devons sortir tous les producteurs qui sont dans les forêts classées de manière à avoir une production plus intensive et respectueuse de l’environnement. Nous pensons désormais qu’on peut associer la production de cacao avec la forêt donc nous allons avoir de programmes d’agroforesterie.» Rappelons qu’en janvier, la Côte d’Ivoire a lancé son Initiative Cacao-Forêt qui s’inscrit dans le cadre de l’Agriculture Zéro déforestation, une option de la stratégie REDD (Réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation forestière) adoptée par la Côte d’Ivoire en novembre 2017. Dès 2015, le CCC avait lancé une feuille de route intitulée  «Cacao, ami de la forêt» qui a été intégrée dans sa note d’orientation politique pour la COP 21 à Paris. Le plan d’action Cacao-Forêt avait été adopté dès 2017 par Abidjan et présenté à Berlin en novembre lors de la 23ème Conférence des Parties sur le climat.

Autre mesure jouant automatiquement sur la production, la Côte d’Ivoire a annoncé en janvier 2018 passer à la vitesse supérieure dans sa lutte contre la maladie «swollen-shoot» et a lancé le Programme d’intensification de l’arrachage des vergers infectés par la maladie du swollen shoot. La maladie est présente en Côte d’Ivoire depuis 1943 avec une montée en puissance de ses formes les plus virulentes en 2003. D’où le lancement de programmes de lutte contre cette maladie du cacaoyer : de 2008 à juin 2017, 17 885 ha de cacaoyers infectés ont été détruits et 5 487 ha déjà replantés. Le nouveau programme entend arracher 100 000 ha (sur une superficie cacaoyère nationale d’environ 2 millions d’hectares) supplémentaires ces trois prochaines années, ce qui correspondrait à 150 000 t de cacao. Toutefois, le programme prévoit de replanter l’équivalent en cacaoyers, l’objectif étant de substituer des plants sains aux plants malades. Par conséquent, à terme, après une période normale de baisse de production liée à l’arrachage, les volumes reviendraient aux mêmes niveaux, voire supérieurs, avec des plants plus jeunes et peut-être améliorés.

Autre mesure qui impactera, sans aucun doute, les volumes dès la campagne prochaine, l’annonce en mars par le CCC de vouloir que les grands fabricants de chocolat implantés en Côte d’Ivoire comme Nestlé, Mars et autres, cessent de distribuer des semences et des plants de cacaoyers hybrides de haute qualité, du moins pour un temps. Durant cette pause, le CCC devrait procéder au recensement des vergers de cacao (et de café) en Côte d’Ivoire.

Le planteur en première ligne

En toile de fond de tout ceci se trouve le planteur qui a vu son prix garanti passer de FCFA 1 100 le kilo en septembre 2016 à FCFA 700 dès le 1er avril 2017, soit au démarrage de la campagne intermédiaire. Ces 700 francs ont été reconduits pour toute la campagne 2017/18, principale et secondaire. L’objectif est, bien évidemment, d’être plus en phase avec des cours mondiaux en chute libre de plus de 30% en 18 mois -même s’ils ont repris depuis fin janvier 2018. Mais la conséquence indirecte est de démotiver les planteurs et surtout les jeunes qui pourraient s’intéresser à la filière. De facto, ceci pourrait donc faire baisser la production, les agriculteurs pouvant se tourner vers d’autres cultures plus rémunératrices comme l’anacarde, l’hévéa, voire les produits vivriers.

@La Mandarine, Bertrand Boissimon

Car, si habituellement, dans ce cas de figure, les cacaoculteurs de l’est du pays vont vendre, en fraude, leurs fèves au Ghana, lorsque le prix y est plus élevé -comme actuellement, cette option là risque de ne plus être possible, ou du moins devrait être plus difficile, à l’avenir. En effet, les chefs d’Etat de Côte d’Ivoire et du Ghana ont signé en mars la Déclaration d’Abidjan avec pour objectif de se rapprocher et notamment, d’«harmoniser leurs systèmes de mise en marché de manière à offrir des prix à peu près pareils aux producteurs des deux pays», comme l’explique le ministre  Sangafowa Coulibaly. «L’idéal serait qu’on soit aligné pour que le paysans ivoirien gagne à peu près pareil que le paysan ghanéen. Tout cela étant, bien entendu, connecté au marché», l’objectif pour la Côte d’Ivoire étant que le planteur perçoive au minimum 60% du cours mondial.

Cap ultime : la transformation, le stockage, la consommation

Au-delà, le cap à long terme est bien la montée en puissance de la transformation afin d’atteindre au moins 50% de la production nationale d’ici 2020 et, à terme de la consommation.

«Nous mettons l’accent maintenant sur la transformation. Nous faisons appel à tous les investisseurs et très souvent, vous avez maintenant des investisseurs qui ne sont pas nécessairement d’origine européenne et qui sont intéressés à transformer le cacao localement et à exporter les produits semi transformés -masse, beurre, tourteaux, liqueur- dans leurs pays. […] On incite aussi les transformateurs sur place à utiliser pleinement leur capacité installéel. La Côte d’Ivoire produit 2 Mt donc l’objectif est d’atteindre en 2020 au moins 900 000 t», a précisé à CommodAfrica le ministre du Commerce Souleymane Diarrassouba lors de la conférence mondiale du cacao à Berlin fin avril. Il a, alors, tenu «à saluer la BAD et la Banque mondiale, qui nous appuient pour construire des infrastructures qui nous permettront de transformer mais aussi d’entreposer du cacao afin, je ne dirais pas d’avoir un stock tampon, mais d’avoir en tous cas certains éléments nous permettant que notre production ou notre intervention ne soit pas neutre au niveau de la détermination du prix à l’international.»

Et pourquoi ne pas taxer uniquement les fèves brutes exportées ? Le ministre Sangafwa Coulibaly y songe. «Il ne faut pas fiscaliser ceux qui transforment localement. Et dans le cacao, plus vous transformez, moins vous payez de taxes. A contrario, nous devons taxer les produits qui sont exportés à l’état brut. Mais si nous les taxons, le prix au producteur n’est plus le même que lorsque la matière première n’est pas taxée. C’est pourquoi nous avons dit que, avec le Ghana, nous devons harmoniser nos politiques fiscales afin d’encourager la transformation de nos produits.» Notons qu’en juillet 2016, les taxes sur le beurre avaient été abaissées de 14,6% à 11%, sur la masse de 14,6% à 13,2% et sur la poudre de 14,6% à 9,6%.

Le cap est également mis sur la diversification tant des débouchés du cacao que des cultures même au niveau du cacaoculteur lui-même. «Je pense qu’il nous revient de diversifier nos sources et nos marchés de vente de nos produits», poursuit le ministre du Commerce. «Il faut commencer à promouvoir la consommation au niveau de nos pays et régions et il faut aller démarcher d’autres pays, notamment les pays émergents sur lesquels on peut vendre du cacao. Et il faut explorer la possibilité d’avoir des ventes directes. Parce que aujourd’hui on passe beaucoup par les traders et on est moins en contact avec les industriels finaux

 

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