Les opportunités qu’offre la révolution alimentaire en Côte d’Ivoire

 Les opportunités qu’offre la révolution alimentaire en Côte d’Ivoire
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La Côte d’Ivoire, « locomotive de l’Afrique francophone en Afrique de l’Ouest », avec une forte croissance depuis 10 ans, est en pleine mutation. Elle veut développer la seconde transformation de ses produits agricoles et atteindre l’autosuffisance alimentaire. La France a pleinement sa carte à jouer même si elle doit prendre en considération que la Côte d’Ivoire n’est plus son pré-carré et que la concurrence est bel et bien là, le gouvernement en place depuis 10 ans étant pro business et très ouvert à l’international.

Telle est, dans les grandes lignes, la synthèse qu’on peut tirer du 7ème webinaire sur les neuf qui se sont tenus la semaine dernière dans le cadre des Journées Export Agro organisées par le ministère français de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire, coorganisée avec Business France et d’autres partenaires dont FranceAgriMer.

L’agriculture est au cœur de la problématique ivoirienne. Car, si l’activité pétrolière émerge, la Côte d’Ivoire demeure « très fortement agri dépendante », rappelle le conseiller pour les affaires agricoles à l’ambassade de France à Abidjan, Jean-Pierre Chomienne. L’agriculture représente 60% environ des exportations du pays et le quart de son PIB ; environ 20% de ses recettes budgétaires proviennent des seules fèves de cacao exportées.

La Côte d’Ivoire, c’est bien sur les filières très organisées du cacao, cola, anacarde, banane, huile de palme, hévéa, etc. dont elle est un acteur majeur sur les marchés mondiaux. Mais à côté de cela se trouve tout un tissu écnomique encore très largement dans l’informel aujourd’hui, ce qui présente des inconvénients mais aussi des avantages à une époque où le gouvernement ivoirien a comme principal objectif, la souveraineté alimentaire. Car l’informel a pour avantage d’être « relativement élastique » , explique le conseiller agricole : lors de crises comme la Covid, il a eu « une grande capacité à se reconfigurer très rapidement. » Revers de la médaille, étant informel, il ne peut faire l’objet de planification et, en période de récolte, il essuie énormément de pertes.

Produits vivriers et d’exportation, même combat

Pour s’attaquer à ce défi, le gouvernement a décidé de ne plus distinguer entre cultures d’exportation et vivrières mais de les faire entrer, sans distinction, dans les systèmes commerciaux ou économiques et que le maximum de valeur ajoutée soit faite sur le territoire national, précise encore Jean-Pierre Chomienne.

Il s’agit pour la Côte d’Ivoire se protéger contre les aléas de la dépendance à l’égard de l’extérieur mais aussi de répondre à une demande nationale croissante. Traditionnellement très rurale, aujourd’hui plus de 50% de la population ivoirienne vit en zone urbaine. Si « les liens avec le village restent forts », rappelle le conseiller, les modes de consommation ont changé et ce d’autant plus qu’ « émerge une classe moyenne avec un peu de pouvoir d’achat et donc demandeuse, notamment dans le secteur alimentaire, de produits innovants » face à « une curiosité gastronomique » qui caractérise les Ivoiriens. Et ce d’autant plus que la population est jeune avec un âge médian un peu inférieur à 19 ans ; une jeunesse à qui il faut « trouver des emplois qualifiés ».

« Vous avez de plus en plus une « floating class » qui a environ $ 10 par jour, qui va rejoindre la classe moyenne et qui a envie de consommer. Vous avez des agriculteurs qui cherchent à mettre leur argent dans l’éducation de leurs enfants pour qu’ils puissent accéder à des emplois supérieurs. Il y a de plus en plus un transfert de classe, de gens qui sortent de la pauvreté. Abidjan représente 40% de la population mais bien plus en termes de pouvoir d’achat », a indiqué Bertrand Oudin, président Ceresco.

En ville comme dans les campagnes, les Ivoiriens déjeunent peu à midi chez eux. En revanche, nombre d’entre eux prennent un copieux petit déjeuner. Quant au dîner, il « sera à la maison et on mange encore du lourd : atiéké, riz, banane plantain. Mais aujourd’hui, on constate le développement de la consommation de produits plus sains au dîner, moins gras, moins  sucrés (prise en considération du facteur santé), avec une augmentation de la consommation de fruits et légumes », selon Fèmi Yeo, directrice LSC Consulting à Abidjan.

Au-delà de la première transformation

La volonté de transformer en Côte d’Ivoire n’est pas nouvelle. Mais, bien souvent, on s’est arrêté à la première transformation. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire veut aller plus loin et se opportunités sont considérables. Jean-Pierre Chomienne a pris pour exemple les camemberts véganes à base d’anacarde. « Donc sur la 2ème transformation de l’anacarde, il y a un potentiel énorme », comme sur d’autres produits et destinés au marché local.

C’est aujourd’hui possible notamment parce que les infrastructures ont été bouleversées. « Nous sommes passés de 50% de taux d’électrification il y a à peine 10 ans à plus de 80% aujourd’hui. On parle donc d’industrialisation et de transformation qui sont maintenant possibles dans la plupart des villes de Côte d’Ivoire », précise Fèmi Yeo. « On a une classe moyenne émergente avec des appareils frigo ; on est en train d’avoir des plateformes pour les stockages à température froide ou négative, ce qui n’existait pas il y a 10 ans. » Ceci a d’ailleurs permis à des chaines de fast-food comme Burger King, KFC, de s’installer. Des chaînes purement ivoiriennes ont aussi pu se développer comme Dabali Xpress.

En outre si la bancarisation demeure faible, « car ce n’est pas dans la culture », on a un très fort taux de pénétration de la téléphonie mobile  et d’importantes initiatives à travers le mobile banking, ce qui permet de faire « des connexions avec des compets bancaires » et « parvenir à une certaine traçabilité ».

La grande distribution se réinvente

Quelque 90% des Ivoiriens font encore leurs courses auprès de la distribution traditionnelle sur les marchés et les étals de produits alimentaires. Donc 10% seulement font leurs courses dans les supermarchés mais cela change.

« Les Ivoiriens comment à prendre l’habitude de faire leur marché en supermarché. La distribution organisée en supermarché a démarré en 1966 en Côte d’Ivoire mais offrait très peu de produits frais. Depuis une dizaine d’années, les supermarchés ont commencé à développer des rayons frais qui sont de plus en plus pratiqués par les Ivoiriens. Donc on assiste actuellement à une belle croissance de cette distribution organisée et qui est en train de tirer la production agricole aussi. Car ces enseignes proposent aux petits producteurs des contrats sur le long terme. Donc l’agriculteur qui avait peu de possibilités d’avoir des prêts bancaires peut en avoi aujourd’hui en présentant un contrat avec une enseigne de distribution organisée », poursuit Fèmi Yeo

La distribution organisée représente 10% avec des grands noms d’enseignes françaises : Casino, Leader Price, SuperU, etc. ; Auchan s’est installé en 2022. Toutefois, se profilent des opérateurs des Etats-Unis, de Turquie, de Chine.

« Pour le moment, les marques françaises sont prépondérantes parmi les grands distributeurs mais il y a beaucoup de rencontres avec d’autres pays. On a depuis l’année dernière beaucoup d’initiatives des Etats-Unis. Certes il y a la barrière de la langue mais on a beaucoup de francophones qui comprennent l’anglais et il y a le Ghana juste à côté où les Américains sont très présents. Et ils se sont dits : pourquoi pas la Côte d’Ivoire ? »

« La Turquie est en train de venir. Ils ont déjà des boutiques dans le non alimentaire. Ils ont des magasins de quincaillerie. Ils pourraient faire de l’agroalimentaire bientôt, c’est possible. La Chine a  des magasins installés, là aussi souvent dans le non alimentaire aussi mais la limite peut être vite franchie. De nombreux Ivoiriens achètent sur Alibaba, par exemple. »

« Parfois les Ivoiriens se plaignent que l’offre française est parfois un peu trop de bonne qualité ou le packaging de trop grandes tailles. » Donc l’offre française doit davantage s’adapter aux caractéristiques de la demande ivoirienne et aussi à l’offre de la concurrence internationale en plein essor. « On recherche des biscuits, par exemple, qui coutent moins de dix centimes d’euro. Donc il s’agit de très petits conditionnements. »

Le vivrier promu

Le vivrier est au cœur de la souveraineté alimentaire et donc des préoccupations ivoiriennes actuelles. Ceci dit, « Quand l’Ivoirien veut faire de la culture, il veut faire des cultures de rente car c’est ce qui est thermiquement rentable. Cette perception est en train de changer. On apprend aux producteurs que la tomate peut rapporter autant voire plus que le cacao. La production vivrière était très atomisée en Côte d’ivoire ; aujourd’hui, on se dit qu’on peut en faire un métier et faire de plus grandes plantations. Qui dit plantations, dit besoin en équipements, tracteurs, semences de qualité, etc. pour produire à grande échelle », a expliqué Bertrand Oudin. Ce sur quoi porte l’intérêt des acteurs français actuellement.

« Au SARA en 2019, la France était à l’honneur avec 63 exposants et 85 entreprises sur 350 m2 », a rappelé Constance Tondoh, chargée d’affaires export Agrotech Côte d’Ivoire à Business France. « On a ressenti en 2019 l’intérêt des opérateurs français. Il ne faut pas que ça retombe. Il y a de la concurrence donc il faut être présent au SARA 2023, en septembre », .

A bon entendeur….

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