SARA 2023, vitrine d’une agriculture ivoirienne en pleine ébullition malgré les défis

Partager vers

Vendredi, la sixième édition du Salon international de l’agriculture et des ressources animales (SARA) a ouvert ses portes à Abidjan pour 10 jours. Une édition très particulière, la première après l’épidémie de la Covid et surtout celle inaugurant le Parc des expositions, à deux pas de l’aéroport, sur le site même des précédentes éditions.

Inaugurée le 17 juillet dernier par le vice-président Koné Tiémoko Meyliet, la première phase du Parc des expositions, conçu par l’architecte libano-ivoirien Pierre Fakhoury et d’un coût de FCFA 75 milliards (€ 114,5 millions), se distingue par le très élégant et imposant Convention Center au toit chaloupé, d’une capacité de 11 000 personnes dont 5 000 assises sur ses 7 200 m2, là où s’est tenue la séance inaugurale vendredi. Dans l’accueillant nouveau hall d’exposition en dur se trouvent les stands des institutionnels, de pays participants non-africains et des grands noms de l’agro ivoirien, tandis que deux structures provisoires abritent d’autres stands pays, notamment du Burkina faso, Togo, Mali, etc., les équipementiers, agroindustriels, cabinets d’études et de conseil, transformateurs, chocolatiers, commerçants, etc. A côté, en extérieur, un pôle élevage et un pavillon plus tourné vers les produits d’artisanat entourent une « piazza » engazonnée de 11 000 m2, très conviviale, dédiée à la restauration, les animations musicales avec un espace de jeu pour les enfants.

Confirmation de la volonté politique de faire du SARA un véritable outil de communication et de promotion de l’activité agricole ( 22% du PIB ivoirien, plus de 60% des emplois), la première journée de vendredi dédiée à l’inauguration officielle par le chef de l’Etat Alassane Ouattara était d’accès libre à tous. L’agriculture se voulait en fête. L’accueil au Salon était généreux et de belle humeur, le week-end voyant affluer une multitude de visiteurs et surtout des classes entières d’élèves et étudiants. Sur les 10 jours, 300 000 à 400 000 visiteurs sont attendus pour rencontrer quelque 800 entreprises de Côte d’Ivoire et de 30 pays étrangers. Un salon qui se veut aussi et surtout une belle communion des Ivoiriens avec leur agriculture, à la fois socle et avenir du pays.

Les Pays-bas à l’honneur

Après le Maroc, l’Afrique du Sud et la France, c’est au tour des Pays-bas d’être le pays à l’honneur de ce salon biennal, avec la journée de samedi qui lui était dédiée et plus de 120 entités néerlandaises représentées sous la couleur orange officielle du Royaume.

L’agriculture est la véritable colonne vertébrale de ce pays européen, pragmatique, petit par sa taille mais grand par son organisation, sa technologie, sa production, sa recherche et sa politique agricole, très impliqué dans la durabilité de ses filières et ayant remporté des succès notoires avec son modèle coopératif symbolisé dans le domaine laitier par Friesland Campina. On peut dire que cette édition du SARA est l’occasion de rappeler le succès de la triangulaire historique érigée en quasi dogme par les Néerlandais, rassemblant les pouvoirs publics, les entreprises -notamment les coopératives- et la recherche avec la célèbre Université de Wageningen (lire nos nombreuses publications de ces dernières semaines). Ce mode opératoire tripartite est celui-là même qui a été mis en œuvre après-guerre, suite à la famine que les Pays-Bas ont connu en 1946-1947.

La Côte d’Ivoire connait bien le modèle néerlandais et s’en inspire pour appuyer le développement de son agriculture. En outre -surtout, Abidjan, premier fournisseur mondial de fèves de cacao, entend regarder les Pays-Bas les yeux dans les yeux en feuilletant le dossier de plus en plus délicat de la filière cacao. Abidjan -qui tutoie Amsterdam en volumes de fèves transformées- exige des Pays-bas, très sensible comme tous les pays nordiques aux questions sociétales, environnementales et d’équité, à payer plus chers les cacaoculteurs au nom de la durabilité et de l’éthique. Samedi, le ministre de l’Agriculture et du développement rural, Kobenan Kouassi Adjoumani, a de nouveau appelé les Pays-Bas et les multinationales à délocaliser en Côte d’Ivoire les usines allant jusqu’à la transformation finale du cacao.

Témoin de la reconnaissance de liens encore plus forts à tisser dans l’agriculture, des accords agricoles ont été signés samedi entre les deux pays portant sur l’horticulture, l’élevage et le cacao.

Des produits de plus en plus beaux

La Côte d’Ivoire mène tambour battant ses réformes du monde agricole et sa politique de transformation des produits bruts. Le Sara est la fière vitrine des résultats notables dans les grandes filières de culture de rente comme le cacao bien sûr, mais aussi la noix de cajou dont il est premier producteur mondial. Une kyrielle de petits transformateurs et commerçants ont des stands au SARA, largement épaulés par le Conseil coton anacarde, puissant vecteur de transformation de ces noix dont les volumes ont été longtemps intégralement exportées vers l’Asie, à l’état brut.

Photo CommodAfrica

Les stands très fournis du Burkina Faso et du Togo notamment, témoignent aussi de ce dynamisme des acteurs dans la transformation des produits, que ce soit les jus de fruits, les produits cosmétiques et médicinaux d’extraits naturels, les textiles, etc. Des produits qui montent en puissance, SARA après SARA, en matière de qualité, de présentation, d’emballages, d’étiquetage, bref d’attractivité.

Les défis des chocs externes

Mais au-dessus de ce SARA 2023, qui semble aligner les planètes, plane les menaces. Depuis vendredi, pas une journée ne se passe sans que, lors d’une conférence ou autre évènement, un rappel -souvent avec humour- est fait aux craintes de coup d’Etat…

Hier, dimanche, la conférence principale du Salon avait pour thème : « Agriculture africaine face aux défis des chocs internes et externes ». Les chocs dont il était question remontent aux émeutes de la faim en2008, à la Covid en 2020, à la guerre en Ukraine en 2022 avec, pour toile de fond le choc climatique qui monte en puissance et les crises politiques régionales. « Les crises politiques sont des chocs auxquels les pays doivent se préparer », conseille, réaliste, Attaher Maiga, représentant de la FAO en Côte d’Ivoire, le directeur général de l’Institut international d’agriculture tropicale (IITA), Siméon Ehui, précisant que « le climat d’insécurité politique dans la région est ce qui entrave le développement. »

Ces chocs qui ne doivent pas entraver la marche en avant de l’agriculture, véritable terre d’opportunité. Pour le patron de l’IITA, le calcul est vite fait : l’Afrique dépense $ 43 milliards en importations alimentaires alors que le continent pourrait générer $ 1 000 milliards d’ici 2030 en créant de véritables marchés alimentaires africains. En attendant, 16 des 22 points « chauds » identifiés à travers le monde en termes de faim se trouvent en Afrique ; 90% des Africains ne peuvent pas avoir un régime alimentaire sain. Une Afrique particulièrement sensible au réchauffement climatique puisque 1% seulement de ses terres arables sont équipés de matériel d’irrigation.

Or, le marché alimentaire africain est en plein essor avec l’augmentation des revenus et l’urbanisation, ces urbains qui mangent mais ne produisent pas. Il faut donc, en appelle-t-il, transformer les systèmes alimentaires africains, réformer les politiques publiques notamment en donnant la priorité aux productions jusqu’alors négligées que sont les cultures vivrières face aux cultures de rente. Ces cultures vivrières devenues très rentables sur les marchés africains.

Photo CommodAfrica

 

Le rôle de la recherche est clef dans ces mutations indispensables, tout comme l’accès aux technologies mais aussi la nécessité de recourir massivement à l’agroforesterie, très à la mode actuellement mais solution imparable à la crise climatique, a indiqué, pour sa part Christophe Kouamé, directeur pays du Centre international pour la recherche en agroforesterie (Icraf). Et par bonheur, 95% des agriculteurs interrogés en Côte d‘Ivoire veulent associer des arbres à leur culture du cacao car source de diversification de leurs revenus et de bien-être pour leurs cacaoyers.

En réalité, le défi majeur est de continuer à réformer sans attendre les crises pour mettre en place des politiques, a préconisé Alain Sy Traoré, directeur de l’agriculture et du développement rural à la Commission de la Cedeao. Et ce dernier de rappeler, non sans une pointe d’ironie amère, que dès 2005 la Cedeao a mis en place sa politique agricole commune -Ecowap- avec pour objectif la « souveraineté alimentaire » alors que ce n’est très récemment que les pays européens ont repris ce vocable. Et, bien évidemment, ce n’est que maintenant que le concept est pris au sérieux…

 

Autres Articles