Karim El Aynaoui : créer des écosystèmes autour des matières premières

 Karim El Aynaoui : créer des écosystèmes autour des matières premières
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En Afrique, l'enjeu central est la transformation locale des matières premières et pour ce faire, il faut créer des écosystèmes industriels et de services, a expliqué Karim El Aynaoui, managing director de l'OCP Policy Center à l'occasion de la parution, la semaine dernière, de la première édition Afrique du Rapport Cyclope sur les marchés mondiaux de matières premières, L'Afrique et les marchés mondiaux de matières premières, sous la direction du professeur Philippe Chalmin. Une façon d'intégrer la chaîne de valeur est aussi, pour les pays africains, de prendre des participations dans les grandes entreprises cotées. Et là, les entreprises publiques africaines ont un nouveau rôle à jouer.

 

Quels sont, selon vous, les enjeux principaux de la question agricole en Afrique ?

Je pense que l'enjeu fondamental est l'état d'esprit et la manière dont on voit les choses. Il faut regarder l'Afrique avec un œil neuf, un œil neutre, et essayer de se départir de l'histoire. Souvent, lorsqu'on connaît bien quelque chose et qu'on a une longue expérience, on a  du mal à voir la nouveauté.

En Afrique, l'enjeu central sur les matières premières,  agricoles mais aussi les autres, est la question de la transformation locale pour répondre à une demande croissante. La demande est, avant tout, une demande locale, sur le continent. Je vous rappelle que les taux de croissance affichés par l'Afrique ces 15 dernières années, ont été formidables. C'est après l'Asie, notamment l'Asie du Sud-Est, la région du monde qui a connu la croissance la plus rapide.

Cette dynamique de la demande est bien là. Elle a des besoins très importants en matières premières. Or, dans beaucoup de secteurs, certaines matières premières sont exportées d'Afrique pour être transformées ailleurs dans le monde et sont revendues en Afrique comme produits finis.

Sur ces questions, quelle est votre approche au Policy Center ?

L'enjeu pour nous, au niveau du Policy Center, est comment accroître la transformation locale de ces matières premières, comment peut-on créer autour de ces matières premières des écosystèmes industriels, des écosystèmes de service, comment la main d'œuvre peut-elle être formée, qualifiée pour répondre à ces enjeux, comment peut-on penser tout cela dans le cadre des stratégies de croissance des pays, notamment en matière de politique industrielle, comment peut-on attirer de l'investissement direct étranger pour produire ces produits finis qui incorporent des matières premières.

Il me semble que le potentiel est là. Il existe déjà de belles histoires, comme dans le cacao en Côte d'Ivoire. Dans le secteur des roses en Ethiopie -qu'on peut considérer comme des matières premières et dans lequel  j'ai travaillé au début des années 2000, il existait des problèmes classiques de logistique.  Ils avaient un potentiel extraordinaire, beaucoup plus compétitif sur le plan des dotations naturelles que le Kenya, par exemple, et aujourd'hui ce sont des Kényans et aussi des Hollandais qui ont été à l'initiative de ce marché. Mais il a fallu régler des problèmes : chambre froide à l'aéroport, logistique, etc. Ce sont ce qu'on appelle des biens communs qui ne peuvent être fournis, en principe, que par les Etats car les entreprises privées ne peuvent pas prendre en charge le financement de ces biens communs qui sont utilisés aussi par d'autres. Par conséquent, tout ceci est relié aux politiques publiques. Et le travail central du Policy Center est, précisément, de travailler sur ces politiques publiques pour accompagner la transformation structurelle de l'Afrique, en particulier celle des matières premières.

Donc il faut nécessairement une vision globale. Et les pays avancés, notamment l'Europe, ont un rôle particulier à jouer. Préoccupé par ses difficultés actuelles que les pays avancés connaissent, notamment l'Europe, elle perd un peu de vue ce qui est en train de se passer en Afrique. C'est pour ça que je parlais de l'œil neuf et critique qui est essentiel. C'est un enjeu socio-politique mais aussi  économique. Il y a des problèmes d'immigration mais il y a également la problématique de relais de croissance pour l'Union européenne. C'est une formidable opportunité et les instruments sont disponibles.

Donc c'est une combinaison de politiques, de formation, de capital humain, de politique industrielle mais aussi de financement. Et les institutions de financement de type de la Banque européenne d’investissement, la Banque européenne de reconstruction et de développement, les agences bilatérales comme l'AFD et la KfW sont un formidable levier pour accompagner cette transformation structurelle. C'est l'une des questions qui nous occupent beaucoup au Policy Center.

Hormis le côté vertueux de la transformation locale, comment se fait-il que des pays ­-et je prends le cas de la Côte d'Ivoire et du cacao- ne prennent pas des participations dans le capital de grandes entreprises impliquées dans l'aval de la chaîne de valeur de leurs produits phares, afin de capter de la valeur ajoutée ?

Vous donnez là une illustration intéressante de la manière dont on peut intégrer une chaine de valeur : on peut le faire en prenant des participations dans des entreprises. On peut aussi attirer des entreprises internationales et créer des filiales locales dans lesquelles on peut prendre des participations.

Mais je vous rappelle que la contrainte de financements, l'espace budgétaire compte tenu des besoins notamment en accès pour des services de base type éducation  et santé, font que beaucoup de ces pays ont très peu de marges de manœuvre, en réalité. Et c'est là, encore une fois, où je reviens sur ces institutions qui pourraient accompagner ce type de développement.

Vous mettez le doigt sur un point qui, sans doute, se développera à l'avenir : comment utiliser la finance pour accompagner les politiques publiques et pour approfondir ce type de transformation locale. Car, finalement, vous voulez voir un écosystème de petites et moyennes entreprises, vous voulez voir une intégration de la production agricole jusqu'à l'ensemble des services qui sont liés à la production agricole, l'ensemble des besoins des fermiers. Cela va de l'assurance agricole en passant par les infrastructures routières, les inputs, les différents  facteurs accompagnant la production agricole, jusqu'à la transformation. Une manière de le faire est, effectivement, de prendre des participations dans une entreprise et d'agir sur la stratégie de cette entreprise.

Je pense qu'il y a un rôle fondamental à jouer pour les entreprises publiques également. On avait un peu tendance à les oublier et on peut s'attendre à avoir des exemples intéressants d'entreprises publiques qui sont stratèges et qui participent à fabriquer ces écosystèmes. Ce sont des investisseurs patients. Et il me semble que certains pays réussissent assez bien ceci. Il existe de très belles expériences qui devraient se développer dans l'avenir. 

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