50 ans de l’ICCO : un meilleur prix du cacao et sa durabilité passeront par l’action politique et non le marché

 50 ans de l’ICCO : un meilleur prix du cacao et sa durabilité passeront par l’action politique et non le marché

@ ICCO

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C’est dans la belle salle du Palais des Congrès du Sofitel à Abidjan qu’était célébré mardi matin le double anniversaire des 50 ans de l’Organisation internationale du cacao (ICCO) et des 10 ans de l’Agenda global pour l’économie cacaoyère durable adopté à Abidjan en 2012. Un bel hommage au président ivoirien Alassane Ouattara, qui présidait la conférence avec son homologue ghanéen Nana Akufo-Addo, car l’Agenda global avait été signé un peu plus d’un an après son élection en 2011.

Cinquante ans… Si le visage de la filière mondiale du cacao est transformé, force est de constater que les objectifs fixés ne sont pas atteints. Dès le départ, le chemin s’annonçait semé d’embuches. Il a fallu, en effet, 10 ans de négociations entre pays producteurs et consommateurs pour que l’Accord international sur le cacao soit enfin signé en 1972 et l’ICCO créé en 1973 pour le mettre en œuvre. Il avait pour objectif premier de réduire la fluctuation excessive des cours internationaux. Toutefois, déjà à ce moment, a rappelé le secrétaire général de l’ICCO Michel Arrion, « lors de la conclusion de l’accord international, le porte-parole des pays producteurs avait précisé qu’il fallait assurer un prix équitable au producteur et un revenu régulier. Cinquante ans après, ces objectifs sont toujours au centre des débats et constituent le premier objectif actuel de l’ICCO. » En réalité, souligne-t-il, « prix et durabilité sont les deux facettes du même problème ». Ni l’un, ni l’autre n’a été atteint en 50 ans et se retrouve plus urgemment que jamais -les combats longs attisant les rancœurs- à l’ordre du jour.

Quant au visage du marché mondial du cacao, il est métamorphosé. En termes de volumes, l’évolution est spectaculaire : du million de tonnes (Mt) produites dans les années 60 et 1,5 Mt lorsque l’ICCO a été créée en 1973, on atteint aujourd’hui, sur la campagne 2022/23, près de 5 Mt. Plus précisément, 4,9 Mt.  A contrario, en termes de prix, l’évolution est franchement scandaleuse. En 1976, le prix mondial du kilo de fèves était à $ 2,7, a rappelé le Premier ministre ivoirien Patrick Achi. « En 2022, si on prend en compte l’inflation, nous devrions être à $ 13 le kilo. Or, nous sommes toujours aux environs de $ 2, donc cinq fois moins. En revanche, le prix de la plaquette de chocolat a été multiplié par 10, de $ 6,3 dans les années 90 à $ 70 aujourd’hui ». Et ce, « en dépit des efforts énormes de l’ICCO et de l’acharnement des planteurs », a tenu à préciser le Premier ministre.

En réalité, force est de constater que depuis les Indépendances, on se demande comment partager la rente du cacao, constate Philippe Chalmin, spécialiste des marchés mondiaux de matières premières. Car, malgré les efforts de stabilisation de la Cnuced dans les années 70, « le cacao reste une matière première. Certes, on peut sortir par le haut avec des produits spécifiques, des appellations d’origine, des produits bio, etc. Mais ce sont des niches seulement. Le cacao reste une matière première, une commodité avec pour caractéristique que son prix se fait par l’anticipation de ce que seront demain l’offre et la demande. Or, l’offre est par définition instable à cause de la météo, des maladies, des aléas politiques et géopolitiques. […] La demande aussi est aléatoire. » A ceci se greffe l’instabilité des devises, le professeur rappelant que le marché du cacao a pour singularité d’être encore coté à Londres en livre sterling et à New York en dollar.

Le cacao finance la rentrée scolaire

« Malheureusement, malgré tous les discours sur un prix équitable, je dois reconnaitre que le prix est un constat entre l’offre et la demande. » Il faut donc se tourner ailleurs pour trouver la solution : le politique. C’est « le défi politique des politiques agricoles. Il faut donner un cadre stabilisant au planteur face à l’instabilité des cours internationaux », suggère Philippe Chalmin. « Le rôle majeur des politiques publiques c’est d’être un coussin de sécurité entre l’instable de l’international et la nécessaire stabilité pour un producteur. »

Quid de la durabilité ? Un objectif aux multiples facettes, social, environnemental, économique. Social, car contrairement à l’hévéa ou au palmier à huile, le cacao reste une agriculture de petits planteurs ; il est « le maillage d’une société », souligne Philippe Chalmin. Environnemental, car « le planteur connait son cacaoyer comme le berger sa brebis ». Economique, car le cacao « joue un rôle fondamental dans l’équilibre des territoires. Les revenus du cacao irriguent l’économie rurale. Il finance les rentrées scolaires et ce devrait être plus mis en avant que le travail des enfants », ne manque pas de rappeler le professeur.

Du constat selon lequel « les branches du cacaoyer sont agitées en permanence par les marchés », Philippe Chalmin esquisse quelques idées de politiques à mener pour les 50 prochaines années. Tout d’abord, maintenir un filet de sécurité pour les planteurs mais en limitant au maximum l’écart de prix entre le prix planteur et le prix FOB, l’Etat devant mettre en place des règles afin d’améliorer la visibilité du planteur sur la chaine de valeur nationale. D’autre part, il existe ces fameux marchés de niche sur lesquels on peut jouer comme l’image, l’origine, la traçabilité, etc. Enfin, mettre en avant les « externalités positives » du cacao, tel que son impact positif sur l’environnement, pourrait être un levier rémunérateur.

« Le cacaoyer est un arbre aux fruits d’or. L’or, c’est le meilleur et le pire : il alimente les guerres au Sahel. Mais je fais le pari que le cacao peut être un facteur de développement, de bonheur pour les enfants qui aiment le chocolat mais aussi pour les producteurs », conclut le spécialiste des marchés mondiaux, célèbre pour son concept de « malédiction des matières premières ».

Cap sur la transformation

La Côte d’Ivoire travaille sans relâche, à tous niveaux, sur cet « arbre aux fruits d’or ». Notamment au plan politique. Depuis dix ans, depuis la signature de l’Agenda global pour l’économie cacaoyère durable, les efforts déployés par l’Etat de Côte d’Ivoire se sont multipliés en faveur du producteur, a rappelé Patrick Achi, évoquant notamment l’initiative conjointe de la Côte d’Ivoire et du Ghana pour mettre en place le différentiel de revenu décent, le fameux DRD, de $ 400 sur chaque tonne exportée « entièrement reversé au cacaoculteur pour atténuer les fluctuations néfastes », affirme-t-il. A ce sujet, on peut s’interroger sur l’attractivité pour le planteur d’une tonne de cacao destinée aux usines locales de transformation plutôt qu’à l’export.

Aujourd’hui, le dossier politique qui se trouve tout en haut de la pile aujourd’hui en Côte d’Ivoire est la transformation industrielle, pierre angulaire du Plan de développement 2021-2025. « Produire la fève n’est pas une finalité », réaffirme le Premier ministre. « La filière mondiale du chocolat génère $ 145 milliards par an. La Côte d’Ivoire produit un peu plus de 40% du cacao mondial. Si elle captait ne serait-ce que 10% de cette valeur, elle percevrait $ 15 milliards, ce qui représenterait 25% de son PIB actuel uniquement avec le cacao. » L’Etat pourrait alors jouer son rôle de régulateur en transférant plus de valeur au producteur. « C’est ce qui sous-tend notre politique en faveur de la transformation », a expliqué Patrick Achi.

L’autre défi est, bien entendu, de tendre vers une économie cacaoyère durable, rappelle-t-il. Il s’agit donc de préserver la forêt, d’éradiquer le travail des enfants, d’augmenter le revenu des producteurs. « La Côte d’Ivoire adhère à cette durabilité », a-t-il réaffirmé, sans surprise, mais pour de suite renvoyer dos à dos les objectifs : « Le troisième facteur, à savoir l’amélioration des revenus des producteurs, est souvent la cause des deux premiers. »

Tout ceci dit, et jetant un regard par-dessus l’épaule, que de chemin parcouru… Au début des années 60, la Côte d’Ivoire produisait 60 000 t de cacao. Aujourd’hui, elle en exporte 2,2 millions de tonnes et en transforme 734 000 t. En 2024/25, elle devrait atteindre 1,2 Mt de produits transformés.

Comme dit le proverbe Ashanti, « Aucun arbre n’a donné des fruits ­[même d’or, ndlr] sans avoir eu d’abord des fleurs… »

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