Alain Sy Traoré, Cedeao « C’est le socle même de l’intégration régionale de transporter les produits des zones excédentaires vers les zones défavorisées »

 Alain Sy Traoré, Cedeao « C’est le socle même de l’intégration régionale de transporter les produits des zones excédentaires vers les zones défavorisées »

@ CommodAfrica

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A l’occasion du SARA 2023, entretien avec Alain Sy Traoré sur la problématique des sanctions à la suite des différents coups d’État intervenus dans la région qui amplifient l’insécurité alimentaire déjà fortement impactée par le terrorisme et la réflexion en cours de la Cedeao sur ce sujet.  

Les échanges de biens alimentaires, formel et informels, sont importants entre les pays de la Cedeao. Avec la multiplication des coups d’État et les sanctions, le dernier en date étant le Niger, les impacts sur ces flux sont importants. Comment gérer  cette situation qui impacte la sécurité alimentaire au Sahel déjà fragilisée par le terrorisme ?

En tant qu’institution régionale, ce n’est pas facile. Quand nous prenons des sanctions contre un État membre c’est comme si nous même nous prenions des sanctions contre notre propre dispositif réglementaire qui est la base de notre fondation : la libre circulation des denrées alimentaires. C’est le socle même de l’intégration régionale de transporter les produits des zones excédentaires vers les zones défavorisées et d’assurer un peu la complémentarité nutritionnelle. Comment les Ivoiriens achèteraient la viande à moindre coût s’ils ne pouvaient pas avoir le bétail du Sahel ? Comment les pays du Sahel amélioreraient leur bol nutritionnel s’ils n’avaient pas la banane plantain, l’huile de palme ou l’attiéké de Côte d’Ivoire, les ananas du Bénin …. Il y a une véritable complémentarité entre les États, aucun des États seul ne peut assurer 100% de ses besoins alimentaires.

Maintenant c’est un vrai débat politique. Les réformes sont en cours. Le Mécanisme de prévention, de gestion, de règlement de conflits, de maintien de la paix et de la sécurité́  de la Cedeao, heureusement ou malheureusement, a des règles impitoyables.  Et quand ça arrive, les chefs d’État se réunissent et appliquent les règles dans leur plus grande fermeté, dans leur plus grande rigueur. Nous ne sommes pas là pour juger si un coup d’État est pertinent ou non. Les décisions sont prises contre la rupture de l’ordre institutionnel. Après un temps donné, deux ou trois mois, des réajustements sont faits car on a mesuré les forces et faiblesses de chacun. On va certainement revenir, comme ce fut le cas pour le Mali, et lever les sanctions globales et amener des modérations sur tout ce qui est produits de base comme alimentaires et bien sociaux de première nécessité.

Nous même en tant que Cedeao nous ne sommes pas à l’aise. Ça perturbe notre vie ensemble, notre solidarité régionale. Il y a même un débat en interne. Typiquement entre le département en charge de paix et sécurité et celui en charge du développement.

Nous sommes en train de revisiter les dispositifs, de regarder au cas par cas les mesures.
Lorsque l’on a des sanctions et que l’on a des crises alimentaires et humanitaires, conséquences de ces sanctions, on est obligé d’intervenir. Est-ce que nous avons les moyens financiers pour faire face aux impacts de ces sanctions ?

Les réserves mises en place au niveau régional peuvent-elles y contribuer en cas de crise alimentaire ?

Non nous ne pouvons pas le faire, même pour des raisons humanitaires, en raison des sanctions. Avec les interpellations des agences humanitaires et celle de la Cedeao, une lettre a été envoyée aux pays riverains pour dire qu’il fallait lever les restrictions en ce qui concerne les produits humanitaires. Nous avons été plus loin en demandant la levée pour les produits de base alimentaires mais aussi de première nécessité comme les médicaments. Dans les pays de l’hinterland tout transite par les ports.

Nous sommes donc obligés d’amener des éléments modulants pour réduire un peu l’impact violent des sanctions. Nous n’avons pas le choix. On ne peut régler les mécontentements que dans une arène démocratique. De l’autre côté, qu’est-ce que fait l’institution en matière  de coup d’État institutionnel opéré par les civils qui sont au pouvoir ? Comme nous n’avons pas la même rigueur d’application entre une situation et une autre, cela nous amène à l’appréciation des peuples, des citoyens qui voient cela un peu comme une dynamique à géométrie variable et après nous rentrons dans tous les écarts et travers d’interprétation.

L’insécurité pèse aussi fortement sur l’agriculture ?

La crise sécuritaire fait partir les gens de leur zone de culture et fait chuter les productions. La bataille pour la sécurité c’est de pouvoir ramener les gens dans leur terroir pour qu’ils recommencent à cultiver. Au-delà de ces problèmes auxquels on fait face, quand vous avez des crises institutionnelles comme cela (ndlr les coups d’État), un certain nombre de bailleurs qui financent des projets arrêtent leur financement. Pendant cette période d’arrêt, est-ce qu’on a des mesures, des réponses compensatoires ? On ne peut pas nier qu’il y a un impact réel sur l’agriculture. Vous démarrez un périmètre irrigué financé par la BAD ou la Banque mondiale ou autre, et du jour au lendemain vous arrêtez. La reprise vous coutera probablement deux fois plus cher. Mais ça c’est la politique.

Un facteur de plus qui fait que l’insécurité alimentaire est croissante touchant plusieurs millions de personnes ?

Nous pensons qu’il faut privilégier les mesures de proximité. Si les réserves de proximité se mettent en place et que les États eux-mêmes ont leur réserve, la réserve régionale de sécurité alimentaire de la Cedeao vient qu’en troisième ligne, après les stocks de proximité à l’échelle locale/communautaire et les dispositifs nationaux.

Mais on constate que les États n’épuisent pas ces deux premières lignes de défense avant de venir demander. Dès qu’il se passe quelque chose, ils sollicitent la Cedeao. Oui mais avez-vous épuisé les deux premières lignes, est-ce que vous avez votre plan national de réponse ? Ce sont des instruments qui n’ont jamais été testé auparavant donc nous sommes aussi dans l’apprentissage.

En outre, nos réserves sont essentiellement physiques pour le moment car nous n’arrivons pas à convaincre le politique de garder de l’argent de côté pour qu’en cas de crise les pays puissent puiser dedans. Nous sommes donc en train de regarder la mise en place d’une assurance internationale avec l’ African Risk Capacity (ARC).

Deuxième chose, les réserves physiques sont essentiellement constituées de grains. Maintenant, nous réfléchissons. Si j’ai vraiment faim, tu me donnes du maïs qui était stocké dans un magasin mais dans quel délai je peux le transformer en nourriture pour manger. Cela peut vous prendre toute une journée. Si j’ai vraiment faim je prends les grains que la Cedeao m’a donné, je brade cela au commerçant qui est à côté, je prends l’argent avec lui et achète immédiatement à manger, des sardines ou autre chose. On est en train de migrer vers le « Ready to eat food » (denrées alimentaires prêtes à consommer). Par exemple de l’attiéké déshydraté, empaqueté sous vide et même enrichi en vitamines et stocké. Au lieu de stocker des grains de maïs, plutôt stocker de la farine de maïs, pour le riz, on peut faire des riz précuits. Cela change un peu la nature du stockage et ce que l’on va déstocker et donner aux gens on sait que cela va leurs être utiles immédiatement. Après nous pouvons aller vers des conserves.

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