Dans l’agriculture en Côte d’Ivoire, pourquoi les femmes sont-elles moins productives que les hommes ?

 Dans l’agriculture en Côte d’Ivoire, pourquoi les femmes sont-elles moins productives que les hommes ?
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"Et si l’émergence était une femme ? Comment la Côte d’Ivoire pourrait gagner au moins six milliards de dollars" est le titre du cinquième rapport de la Banque mondiale sur la situation économique de la Côte d'Ivoire que nous avons déjà évoqué jeudi dernier au sujet du cacao (lire nos informations La Banque mondiale décortique la crise cacao dans son rapport Côte d'Ivoire).

Aujourd'hui, nous reprenons ici des extraits du rapport qui offrent des analyses et des propositions de réponses à la question "Pourquoi les femmes sont-elles moins productives ?" dans le secteur agricole. Les experts de la Banque ont, en effet, constaté que l'écart de productivité agricole entre les femmes et les hommes en Côte d'Ivoire pouvait atteindre 60%.

 

"Les discriminations à l’encontre des femmes sur le marché du travail ivoirien sont particulièrement visibles dans le monde agricole. A titre de rappel, les femmes constituent près de 40 % de l’emploi dans ce secteur et nombreuses sont celles qui gèrent une exploitation familiale ou sont même propriétaires d’un terrain. Les ménages dirigés par une femme constituent environ 15% des ménages qui vivent de l’agriculture en 2016.

"Or, les femmes ivoiriennes produisent, par hectare, considérablement moins que les hommes. En 2008, cet écart de productivité atteignait environ 60% entre les parcelles qui étaient gérées par les hommes et celles par les femmes. Approximativement le même écart était obtenu en séparant les parcelles dont les propriétaires étaient des hommes de celles détenues par des femmes. Il se réduisait à 43% en différenciant les parcelles qui étaient exploitées par des ménages agricoles dont les chefs de famille étaient des hommes de ceux dirigés par des femmes. Ces écarts sont considérables car ils se trouvent dans le haut de la fourchette des estimations obtenues sur un échantillon de pays africains.

"L’étude récente conduite par la Banque mondiale sur la Côte d’Ivoire a montré que l’écart de productivité agricole entre les femmes et les hommes est expliqué par :

Sécurité foncière : Seules 8% des femmes détiennent un titre foncier ou une attestation de vente contre 22 % pour les hommes. La différence, cependant, s’amenuise lorsque le droit coutumier est pris en compte. Le manque de sécurisation foncière moderne est un frein à l’accès au crédit et la constitution d’un marché foncier transparent et fonctionnel. 

Type de cultures : Les exploitations agricoles sous la responsabilité des hommes sont davantage orientées vers les cultures d’exportations, qui sont plus productives. Seulement 8 % des ménages qui produisent des cultures d’exportations ont une femme pour chef de ménages. En outre, l’écart de productivité entre hommes et femmes est grand pour les cultures vivrières (34 % en 2016 contre 17% pour les cultures d’exportations).

Utilisation d’intrants : En 2016, les femmes-agriculteurs utilisaient 1,9 et 1,7 fois moins d’engrais et de pesticides que les hommes.

Utilisation de main d’œuvre : Les exploitations féminines emploient en moyenne 4,3 personnes contre 5,2 pour les hommes. Cet écart vaut aussi bien pour l’utilisation de la main d’œuvre familiale, que pour la main d’œuvre rémunérée et l’utilisation des groupes de travail réciproque.

Caractéristiques du chef de ménage comme, par exemple, le niveau d’éducation et l’âge du chef de famille. Les femmes sont désavantagées en ce qui concerne le niveau d’éducation mais avantagées pour l’âge, car bon nombre de ménages dirigés par une femme le sont par une veuve – qui est souvent relativement vieille et expérimentée. 

"L’écart de productivité agricole entre les hommes et les femmes chefs de ménage a diminué de 43% à 24 % entre 2008 et 2016 (malheureusement les mesures par le genre du gestionnaire ou du propriétaire ne sont pas disponibles pour 2016). Cette réduction, en examinant l’évolution des variables identifiées ci-dessus, est surtout expliquée par l’augmentation de l’utilisation d’intrants par les ménages dirigés par les femmes qui est elle-même liée à une politique déterministe du gouvernement basée sur une meilleure information ainsi qu’un accès facilité au financement pour les femmes. En 2016, ces ménages utilisaient 3 fois plus d’engrais chimiques qu’en 2008. Ils se sont aussi davantage dirigés vers les cultures d’exportations, qui sont plus productives. Enfin, la réduction de l’écart de productivité est due à la diminution de la taille moyenne des parcelles détenues par les ménages dirigés par une femme de 5 à 2,5 hectares car des rendements décroissants sont associés à la taille de l’exploitation agricole en Côte d’Ivoire, comme d’ailleurs dans la plupart des pays africains et asiatiques. Par contre, la taille des parcelles détenues par les ménages dirigés par des hommes est restée autour de 8,5 hectares entre 2008 et 2016.

"La réduction de l’écart de productivité agricole entre hommes et femmes montre que la politique gouvernementale commence à porter ses fruits. Cet effort doit continuer car, malgré tout, cet écart reste substantiel", lit-on dans le rapport.

Les propositions de la Banque mondiale

"Au niveau du secteur agricole qui compte pour 40% de l’emploi féminin, " poursuivent un peu plus loin les auteurs du rapport, " l’action pourrait être triple en cherchant à renforcer les incitations pour les femmes à investir, à les aider à mieux aménager leur temps, et en les aidant à obtenir plus de financement. Cet effort peut être amplifié en encourageant les approches communautaires ou collectives. Le regroupement de femmes en associations permet de créer des économies d’échelles tant au niveau de la production que de la commercialisation (cf. encadré pour l’exemple des Amazones du manioc). Le groupe devient aussi un marché potentiel suffisamment grand pour attirer les banques et autres pourvoyeurs de services comme les entreprises de transports et d’assurance. Aujourd’hui, seules 8 % des femmes ivoiriennes sont membre de coopératives agricoles, alors que ce taux atteint 17% pour les hommes.

"Beaucoup de femmes hésitent à investir dans leurs activités agricoles (en achetant du matériel et en embauchant de la main d’œuvre) en raison de leur instabilité juridique. En effet, leurs parcelles ne sont que rarement sécurisées légalement avec des titres fonciers. Une meilleure sécurisation foncière a donné des résultats spectaculaires au Bénin et au Rwanda pour les femmes, qui ont alors multiplié leurs investissements et les initiatives.

"La productivité des femmes pourrait être augmentée en leur permettant de mieux aménager l’emploi de leur temps. Une étude récente sur les productrices de coton en Côte d’Ivoire confirme que les femmes sont contraintes à cause de la lourdeur des tâches ménagères qui les empêchent à passer assez de temps sur leurs exploitations, et par leur indépendance limitée à choisir l’aménagement de leurs occupations. L’aménagement de leur temps passe par une adaptation de la vie familiale aux contraintes de la « vie moderne » et la réduction des tâches domestiques par un meilleur accès aux infrastructures de base et la réduction des distances. Par exemple, les gains de temps sont substantiels lorsque les femmes peuvent réduire leur temps consacré à la cuisine et l’approvisionnement de l’eau.

"Enfin, les femmes sont davantage exclues que les hommes des services financiers. Les banques et les établissements de micro-crédits ne sont guère intéressées par elles en partie à cause de la taille réduite de leur exploitation et du manque de sécurisation foncière. Elles doivent alors recourir à des moyens informels qui, s‘ils sont utiles dans l’urgence, ne permettent pas de financer des investissements productifs. L’accès à des financements extérieurs peut être encouragé à travers les nouveaux progrès technologiques de l’information qui permettent les transferts d’argent par téléphone mobile, y compris dans les zones reculées. Des programmes intégrés de soutien financier et de formation sont des moyens efficaces pour aider les femmes à acheter des équipements modernes et des intrants."

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