Joseph Larrose de chez Touton : l’industrie du cacao très pro-réactive avec la Cocoa & Forests Initiative à la COP23

 Joseph Larrose de chez Touton : l’industrie du cacao très pro-réactive avec la Cocoa & Forests Initiative à la COP23
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Deux pièces majeures ont été portées, la semaine dernière, au dossier complexe que sont la cacaoculture et la déforestation, notamment chez le n°1 mondial, la Côte d’Ivoire, et le n°2, le Ghana.

C’est d’abord le cadre d’action de l’initiative Cacao & Forêt, plus connu sous son sigle anglais ‘Framework of Action of the Cocoa & Forests Initiative’, qui a été présenté, jeudi dernier, à la COP 23 à Bonn. Cette initiative a été signée par les deux plus importants pays producteurs –la Côte d’Ivoire et le Ghana, ainsi que par 22 importantes entreprises privés impliquées dans le cacao, soit les deux-tiers du secteur.

Le fruit d’un travail de plus d’un an et qui n’est que le démarrage d’un long processus. Rappelons que la forêt ivoirienne couvre aujourd’hui 3 millions d’hectares contre 17 millions en 1960.

Deuxième actualité, l’annonce par la Côte d’Ivoire, la semaine dernière, par la voix du ministre des Eaux et forêts Alain-Richard Donwahi, que le gouvernement entend mettre un terme d’ici 5 ans à la culture illégale de cacao dans les parcs et forêts. Jeudi, le porte-parole du gouvernement, Bruno Kone, annonçait une opération “immédiate” afin d’expulser des milliers d’agriculteurs illégaux de la réserve forestière de Goin-Debe qui s’étend sur 134 000 ha et qui a récemment connu des  violences entre des cacaoculteurs immigrés et des Ivoiriens de souche. En octobre, quelque 7 000 personnes ont quitté leurs plantations illégales et dix ont trouvé la mort suite à des disputes foncières qui, rappelons-le, ont été au cœur des “évènements” en 2010-2011 et en filigrane de toute la décennie précédente de crise.

Selon l’Office ivoirien des Parcs et des réserves cité par Reuters, jusqu’à 40% du cacao ivoirien proviendrait de plantations illégales, soit quelque 880 000 t si l’on prend la récolte 2016/17 de 2,2 millions de tonnes (t). Des chiffres, visiblement, à prendre avec beaucoup de précaution. Dans les parcs nationaux et réserves, d’aucuns estiment la production entre 30 000 à 50 000 t alors que diverses estimations donnent une fourchette très large pour le cacao dans les forêts classées, allant de 200 000 à 400 000 t.

Tout ceci sur fond de pressions croissantes de la communauté internationale et des bailleurs de fonds, notamment la Banque mondiale et l’Union européenne,  pour avancer au plan mondial sur ce dossier climat. Une pression qui s’exerce, sans nulle doute, sur la Côte d’Ivoire étant donné son état de déforestation, mais alors que : politiquement, l’après Alassane Ouattara se prépare ; économiquement, les cours mondiaux du cacao ont baissé et surtout le prix garanti au planteur ; socialement et culturellement, les vieux démons de l'”ivoirité” ne sont jamais très loin. Sans oublier aussi que, à l’heure où l’aide publique au développement fléchit et que la question de l’endettement des pays africains ressurgit, la manne financière que peut représenter toute politique d’adaptation aux changements climatiques est la bienvenue pour financer un développement qui caracole, en Côte d’Ivoire, à plus de 7% et qui reprend au Ghana à 6%. Ne pas arriver les mains vides à la COP23 était sans doute important. Et dans le panier de la mariée ivoirienne, il y avait cette détermination politique déclarée quelques jours avant, mais aussi le nouveau Code forestier qui devrait traiter de la nouvelle classification des forêts.

Pour faire la lumière sur ces questions très techniques, où les clefs de compréhension se cachent souvent dans les détails, Joseph Larrose, directeur du Département approvisionnement durable chez Touton, société bordelaise de négoce en cacao et autres matières premières agricoles, a bien voulu répondre aux questions de CommodAfrica.

Rappelons que Touton est, avec Barry Callebaut, Blommer Chocolate, Cargill, Cémoi, Ecom, Ferrero, Hershey, Mars, Mondelez, Nestlé et Olam, signataire en mars du cadre d’action privé-public du Cocoa & Forest Initiative. Touton était également représenté par son président, Patrick de Boussac, et par Joseph Larrose lors de la COP23 à Bonn pour signer le  Plan d’action.

 

CommodAfrica : Vous rentrez de Bonn, pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste la Cocoa & Forests Initiative présentée à la COP23 ?

Joseph Larrose : Il s’agit d’une initiative qui est portée par le secteur privé et les gouvernements de Côte d’Ivoire et du Ghana, qui vise à mettre fin à la déforestation liée à la cacaoculture et à restaurer la forêt afin d’augmenter la résilience des producteurs face au changement climatique.

A la base, il y a le constat que les planteurs avec qui nous travaillons commencent à sentir les effets du changement climatique. Certaines sociétés, dont Touton, ont commencé à réfléchir à des solutions pertinentes et à les mettre en œuvre.  Progressivement, les différentes parties prenantes se sont consultées, et l’initiative s’est organisée sous l’égide de la World Cocoa Foundation (WCF), la coopération au développement néerlandaise (IDH) et l’International Sustainability Unit (ISU) du Prince Charles.

Il y a eu la première déclaration d’intention en mars et, jeudi dernier, à la COP23, il y a eu la présentation du ‘Framework of Action’ qui établit une sorte de cadre général d’action avec des ambitions, des  engagements pour adresser ces questions majeures.

L’initiative a ceci de remarquable que c’est la première fois que, dans le secteur des matières premières agricoles, nous avons élaboré un ‘framework’ en partenariat avec le gouvernement, les acteurs privés et des organisations de la société civile.

Qu’est ce qui pousse l’industrie à faire cela ? La pression des consommateurs ?

C’est la combinaison de plusieurs facteurs. Au cours des quinze dernières années, l’industrie a énormément évolué dans sa compréhension des enjeux et des défis en matière de développement et de durabilité dans la filière cacao. Il est vrai que, dans le passé, on a pu agir de façon réactive face à certaines pressions -je pense notamment à la question du travail des enfants. En revanche, sur la question de la déforestation, les douze initiateurs privés de cette Cocoa & Forest Initiative – en gros, les six plus grands chocolatiers et les six plus grands traders – ont véritablement été pro-réactifs. Le rapport de Mighty Earth a été publié en réaction à l’initiative portée par l’industrie qui annonçait son intention d’adresser cette enjeu. De leur côté, les consommateurs souhaitent voir l’industrie du cacao et du chocolat adresser les questions du changement climatique, de la forêt et du cacao.

Des recherches ont été faites, notamment par le CIAT (Centre international d’agriculture tropicale), qui a modélisé le changement climatique et qui souligne que, d’ici 2030 ou 2050, il y aura certainement des zones productrices qui seront de la savane et qui ne seront plus aptes à la cacaoculture. Avant d’en arriver là, les planteurs seront affectés car les zones cacaoyères présenteront davantage de problèmes de productivité et de vulnérabilité aux maladies.

Touton, en tant qu’acteur de la filière, s’intéresse à ces questions tant d’un point de vue de durabilité sociale et environnementale que d’un point de vue de durabilité de nos approvisionnements. Le cacao d’Afrique de l’Ouest représente 60% des approvisionnements mondiaux.

Le problème est il traité de la même façon en Côte d’Ivoire et au Ghana ?

Le problème de la déforestation est réel dans les deux pays. En revanche, le cadre règlementaire et l’approche prônée par les deux pays diffèrent.

Chaque pays possède sa stratégie de la gestion des forêts. Le Ghana a identifié des zones d’intervention prioritaires, les ‘Hotspot Intervention Areas’, tandis que la Côte d’Ivoire a une classification différenciée des différentes zones forestières : la Côte d’Ivoire a d’ailleurs récemment annoncé la révision de son Code Forestier. C’est pourquoi les cadres d’action annoncés à Bonn ne sont pas identiques.

Les cadres d’action tant pour la Côte d’Ivoire que pour le Ghana sont d’ailleurs publiquement disponibles sur un site dédié à la Cocoa & Forests Initiative*. S’agissant de la Côte d’Ivoire, on peut y lire que, pour les forêts classées,  le gouvernement tiendra compte du niveau de dégradation des forêts et, qu’à partir de là, une stratégie nationale de restauration des forêts sera définie  d’ici fin 2018. Le texte précise -je lis-  que “les caractéristiques, les superficies, le calendrier, les rôles et responsabilités seront progressivement spécifiés au fur et à mesure, dans les plans d’aménagement.”

L’Office ivoirien des parcs et des réserves estime que jusqu’à 40% du cacao ivoirien proviendrait de plantations illégales de cacao. Qu’en pensez-vous ?

C’est très difficile à dire. Il faut faire attention à distinguer les différents niveaux de classification du couvert forestier, notamment la catégorie des parcs et réserves et les différentes catégories de forêts classées. Un amalgame est régulièrement fait entre ces deux niveaux de classification. Or, il convient de faire une distinction précise, notamment parce que les enjeux sont différents et les solutions à y apporter également.

Pour l’instant, l’état de nos connaissances en matière de mapping spécifique de chaque planteur ne nous permet pas de fournir une réponse précise. Les cartes satellites des zones forestières doivent également être mises à jour. C’est un des objectifs prioritaires voulus par les cadres d’action de la Cocoa & Forests Initiative.

On peut cependant imaginer que certains cacaoculteurs se soient progressivement rapprochés du couvert forestier et qu’il y ait un empiètement dans ces zones. Un certain consensus parmi les acteurs semble se dégager autour d’un chiffre de production allant de 30 000 à 50 000 t dans les parcs nationaux et réserves.

L’enjeu aujourd’hui consiste à identifier les cas, considérer les options possibles et mettre en place des programmes de remédiation progressifs et échelonnés dans le temps selon les niveaux de protection des zones forestières.

En parallèle, nous devons travailler de près avec les autorités ghanéenne et ivoirienne sur la mise en place de systèmes de traçabilité beaucoup plus performants.

Tout ceci est-il réaliste ?

Une solution radicale, si on veut être sûr que plus aucun cacao ne vienne de ces zones protégées, serait d’abattre tous les cacaoyers qui s’y trouvent et sortir les producteurs. Mais ce n’est pas tenable d’un point de vue socio-économique. Que feront-ils? Où iront-ils ? Comment leur garantir des terres et un revenu suffisant ?  C’est un enjeu que l’industrie ne peut pas porter seul dans la mesure où il relève de la souveraineté des pays producteurs. 

Les objectifs qui ont été fixés permettent une approche qui adresse la question de la déforestation tout en respectant la réalité de la cacaoculture.

Jeudi dernier, lors de la COP23, était-ce une présentation de votre accord signé ou avez-vous avancé concrètement ?

Jeudi, nous avons posé la pierre angulaire de nos cadres d’action. Ceux-ci contiennent des objectifs pour les différentes parties prenantes avec des dates précises.

La Côte d’Ivoire a invité à poursuivre les discussions en janvier à travers un atelier en Côte d’Ivoire. Les Ghanéens feront sans doute de même.   

Il ne faut pas sous-estimer la quantité de travail qui a déjà eu lieu en amont de la présentation à Bonn. La grande avancée c’est d’avoir 22 signataires, dont les gouvernements ivoirien et ghanéen, qui sont engagés au même titre que l’industrie. Mais ce n’est que le début. On est d’accord pour travailler ensemble, on a un grand cadre d’action avec des ambitions, avec la volonté de se concentrer non seulement sur la question de la forêt mais aussi sur la garantie de revenus aux planteurs, sur l’augmentation de la productivité, etc. Il faudra élaborer des feuilles de route avec des actions concrètes que nous allons devoir décider ensemble. Il va falloir ensuite traduire cela dans les systèmes d’implémentation de nos programmes de durabilité. Il va falloir continuer à faire face aux questionnements et aux attentes de la société civile et des consommateurs et continuer à parler clairement des défis qui se posent, autant que des solutions que nous considérons.

 

Un dialogue s’est installé, semble-t-il, entre les filières cacao en Côte d’Ivoire et au Ghana. Cela peut-il aider ?

Sur ces questions de déforestation, le Ghana est très avancé car depuis 2008 ils se sont engagés dans le processus REDD+** de la Banque mondiale. C’est un très long processus entre le moment où vous entrez, où vous faites valider votre plan d’action, où vous faites vos évaluations. En définitive, c’est en juin dernier, à Paris, après 10 ans de travail, que le programme du Ghana a été confirmé pour incorporation dans le portefeuille du Fonds carbone de la Banque mondiale.

Il est, par conséquent, bon de voir les techniciens du Ghana et de la Côte d’Ivoire échanger sur leurs expériences respectives.

Un autre défi que nous devons également relever, c’est qu’on a beaucoup pointé le cacao comme facteur principal de la déforestation. Or, la cacaoculture est seulement un des facteurs de la déforestation parmi d’autres. Il y a donc un réel besoin de concertation avec l’ensemble des parties prenantes ayant un impact sur ces zones protégées, comme le secteur du bois et le secteur des mines. Il faut rappeler qu’on ne parle pas de grandes plantations de cacao, on parle de millions de petites fermes dans des chaînes d’approvisionnement complexes où l’on compte entre deux et trois intermédiaires entre les planteurs et les exportateurs.

 

* https://www.idhsustainabletrade.com/initiative/cocoa-and-forests

* Le mécanisme REDD (Réduction des Émissions dues à la Déforestation et à la Dégradation forestière) est un mécanisme créé lors de la Conférence des Parties UNFCCC, pour inciter économiquement les grands pays forestiers tropicaux à éviter la déforestation et la dégradation des forêts.

 

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