Aroni Chaudhuri, Coface : « l’ancrage à l’euro était un avantage pour les pays de la zone dans le contexte actuel économique et géopolitique »

 Aroni Chaudhuri, Coface : « l’ancrage à l’euro était un avantage pour les pays de la zone dans le contexte actuel économique et géopolitique »

@ CommodAfrica

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Tour d’horizon de la situation économique des pays et du risque-pays en Afrique de l’Ouest avec Aroni Chaudhuri, Economiste Afrique à la Coface, interviewé par CommodAfrica lors d’Ambition Africa.

Quelle est votre perception du risque en Afrique de l’Ouest ?

Selon moi, l’Afrique de l’Ouest est une région assez représentative du continent africain dans son ensemble. Dans le sens où il y a une grande variété de situations et il n’y a pas réellement une agrégation du risque.

Nous avons des économies très dynamiques et dans un temps économique assez positif avec les deux poids lourds francophones que sont la Côte d’Ivoire et le Sénégal. Ces pays ont des structures économiques diversifiées avec des moteurs de croissance à la fois en termes de demande intérieure, consommation et investissement, et en termes d’exportations, le cacao pour la Côte d’Ivoire et le pétrole-gaz pour le Sénégal. Cette combinaison fait que les perspectives sont bonnes et ce sont des pays « relativement stables ».

Dans une zone où se sont multipliés ces dernières années, les coups d’État et les attaques djihadistes, n’existe-t-il pas un risque de contagion ?

Dans la période où l’on se trouve sur le continent africain, au niveau du monde et en Afrique de l’Ouest, le risque politique a augmenté. Le risque de contagion est un peu plus difficile à appréhender, mais on voit que le nombre de coup d’État a accéléré depuis les années 2020 avec onze coups au total (réussis + tentative). C’est pour cela que même pour des économies dynamiques, il faut avoir le risque politique en tête, mais l’impact de ces troubles politiques sur la macroéconomie peut grandement varier d’une situation à l’autre. Par exemple, au Burkina Faso et au Mali, les coups d’État n’ont pas réellement créé une très forte détérioration de la conjoncture car les affaires courantes se sont poursuivies. Au Gabon, le coup d’état aura vraisemblablement peu d’impact sur l’économie.

Au Niger, en revanche, les sanctions économiques imposées peuvent avoir un impact négatif significatif à moyen terme à cause de la fermeture des frontières et potentiellement la mise en péril du développement du secteur pétrolier.

Les sanctions de la Cedeao ont aussi touché le Mali ?

Effectivement, mais pour le Mali l’effet des sanctions s’est dissipé assez rapidement. Dans le temps économique pour le Niger, on a l’intuition que cela va être aussi le cas. Pourquoi ? Pour les pays de la zone, il s’agit d’avoir aussi une certaine coopération pour combattre le djihadisme dans le Sahel et contenir la menace sécuritaire. Imposer des sanctions trop lourdes sur des populations déjà vulnérables renforcerait cette menace, qui pèse sur un nombre important de pays dans la région.

Quelle est votre analyse de la situation économique dans les pays anglophones, au Ghana et au Nigeria ?

Au Nigeria, poids lourd de la zone et du continent, nous assistons à des changements économiques structurels importants. Ce sont des modifications jugées nécessaires par les investisseurs et les économistes car pour attirer les investissements étrangers, il était nécessaire d’enclencher la libéralisation du naira (encore partielle pour l’instant) pour faciliter l’accès aux devises et donner la possibilité de rapatrier les retours sur investissement en dollars. C’est un changement en profondeur qui s’opère. Mais ce qu’il faut comprendre c’est que la dévaluation du naira est une première étape dans le processus de réforme de la politique de change et la politique monétaire liée. Il faudra donc surveiller si le gouvernement poursuit son agenda de réformes avec efficacité.

Malgré la libéralisation du naira, il y a toujours des écarts entre le marché parallèle et le marché officiel, notamment car plus de 60% de l’économie nigériane opère sur le marché informel. C’est un processus qui ne se règle pas du jour au lendemain. Cela veut dire qu’il doit y avoir des politiques supplémentaires d’accompagnement de la réforme de la politique de change, pour à terme arriver à un marché officiel prédominant et casser le marché parallèle. Cela va passer aussi par la politique monétaire qui devra accompagner la politique de change au fur et à mesure pour arriver à terme à un taux de change totalement flexible.

Cela veut dire durcir le taux d’intérêt ?

Oui, à terme augmenter les taux d’intérêt. Plus on laisse flotter le naira, plus la devise va se déprécier naturellement étant donné que valeur réelle du naira est plus ou moins reflétée par sa valeur sur le marché parallèle (environ 1000 nairas pour un dollar actuellement). En conséquence, pour libéraliser la politique de change, il va falloir accepter une ou plusieurs dévaluations, donc de l’inflation et donc une politique monétaire plus restrictive.

Une inflation déjà très élevée ?

Oui, le niveau actuel est déjà important, mais à mon sens, la principale préoccupation vient de la vitesse à laquelle elle est en train d’accélérer. C’est généralement ce qui se passe quand il y a une très forte dévaluation de la devise. Étant donné qu’il y a toujours un décalage entre la dépréciation d’une devise et sa transmission à l’inflation, on peut s’attendre à un pic d’inflation dans les mois à venir. Le Nigeria va rentrer mécaniquement dans une période de forte inflation à cause de la dépréciation du naira, mais aussi de la fin de la subvention sur les carburants, ce qui va mettre énormément de pression sur les ménages, en plus du durcissement de la politique monétaire si les autorités veulent maintenir une inflation sous contrôle à moyen terme. Cela implique également une augmentation des tensions sociales. Le Nigeria est une économie dynamique dans bien des aspects, mais le calibrage des politiques économiques va être extrêmement important pour définir la conjoncture dans les 3 à 5 ans à venir.

Et pour le Ghana ?

Nous sommes dans une situation un peu différente car le Ghana a fait défaut. Je le rapprocherais plus de l’Egypte ou de l’Ethiopie, des pays qui avaient des modèles de croissance très fortement poussés par la dépense publique. Avec le resserrement des conditions de financement au niveau mondial, l’endettement excessif devient rapidement insoutenable (au niveau de sa dette domestique et/ou dette extérieure), et le Ghana ne pouvait plus soutenir le poids de sa dette.

Pour le Ghana, nous allons rentrer dans une période de transformation structurelle car le modèle économique ghanéen n’est plus soutenable. Le Ghana est une économie assez mature pour avoir potentiellement un relais de croissance via le secteur privé mais pour cela il faut que des réformes soient mises en place. Et puis cela va se faire un peu naturellement puisque l’espace public et l’investissement public vont être plus limités. Ces deux choses combinées vont faire que le Ghana devrait commencer à transitionner vers un modèle tiré par le secteur privé. Accra doit aussi diversifier son économie. Le poids des exportations par rapport au PIB est quand même très important. Le pays a le potentiel d’avoir une demande intérieure forte ce qui rendra son économie moins vulnérable aux chocs externes. Le Ghana va être dans une phase de rééquilibrage de son économie, ce qui veut aussi dire que la croissance va être bien en deçà de ce qu’elle était pendant la période 2017-2019.

Que cela soit l’Égypte, l’Éthiopie ou le Ghana, ces trois pays étaient des exemples du dynamisme africain de la dernière décennie, ils sont aujourd’hui dans des situations assez critiques. Il y a un changement de fond dans la manière dont les économies africaines doivent considérer le futur, car l’environnement n’est plus le même que celui de la période pré-pandémique. Il est donc important que les politiques économiques soient calibrées pour promouvoir des économies plus diversifiées mais aussi avoir des comptes publics plus sains et des politiques monétaires adaptées à l’environnement actuel.

Ainsi, c’est que la pandémie de la Covid-19 qui a mis à mal le modèle basé sur les investissements publics ?

C’est le cumul de trois crises. La Covid-19 a restreint l’espace fiscal en raison notamment des dépenses supplémentaires de santé et support à l’économie. Puis la guerre en Ukraine a accéléré le rétrécissement de l’espace fiscal puisqu’il a fallu allouer des fonds pour protéger les ménages contre l’inflation. Enfin, le resserrement et le renchérissement des conditions de financement, conséquence de la deuxième crise, a exacerbé les déséquilibres des comptes publics et extérieurs préexistants. La combinaison de ces facteurs a précipité la chute de ces modèles de politique économique basés sur la dépense publique et les importations. Cependant, ce phénomène aurait probablement eu lieu même si on avait continué d’être dans un monde de liquidités abondantes, mais se serait matérialisé à plus long-terme.

Si on prend la Côte d’Ivoire, qui a certes une demande intérieure, les dépenses publiques d’investissement sont importantes, de même pour le Sénégal. Pourquoi ces pays n’ont pas basculé comme le Ghana ?

Une des raisons pour lesquelles la Côte d’Ivoire ou le Sénégal ont accès à des financements et ont une moindre vulnérabilité au niveau de leur compte public est liée à leur appartenance à l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) avec des critères de convergence à respecter. En plus avec une monnaie arrimée à l’euro, ils sont moins soumis à la volatilité des taux de change. Quand on a des dynamiques économiques positives, et que l’on appartient à une zone monétaire avec des critères de convergence, les pays sont dans une situation d’endettement plus gérable avec des primes de risque ajustées et donc un accès au financement plus facile et moins cher pour mettre en œuvre leurs plans d’investissement.

Avec des moteurs de croissance diversifiés et une demande domestique, les comptes publics de la Côte d’Ivoire ou du Sénégal sont moins soumis à la volatilité de ce qui se passe sur le plan international. Le Ghana n’avait pas de pare-chocs efficace pour protéger l’économie des chocs consécutifs comme la pandémie et la guerre en Ukraine. A partir du moment où les taux se sont resserrés et où la note de dette souveraine a été abaissée, les capitaux ont fuit, le cédi, qui est flexible, s’est écroulé et cela a précipité le défaut de paiement.

La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), à laquelle appartient le Ghana et le Nigeria, a aussi des critères de convergence ?

Oui, mais les critères sont moins respectés car il n’y a pas la monnaie qui les relie. On peut débattre éternellement sur les avantages et les inconvénients du franc CFA. Mon opinion est que l’ancrage à l’euro était un avantage pour les pays de la zone dans le contexte actuel économique et géopolitique. Je pense que cela va rester le cas sur une période, que je souhaite la plus courte pour tout le monde, mais qui risque d’être assez longue en terme de temps économique. On voit ce qui se passe actuellement au Moyen-Orient, l’instabilité n’est pas en train de diminuer. Des cadres qui apportent un peu de stabilité au niveau macroéconomique dans un environnement extrêmement volatile semblent nécessaires dans le contexte actuel, en particulier sur le continent Africain.

 

 

 

 

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