On peut changer de paradigmes dans le cacao en Côte d’Ivoire, selon Jean-Yves Couloud 

 On peut changer de paradigmes dans le cacao en Côte d’Ivoire, selon Jean-Yves Couloud 

@ Barry Callebaut

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Les débats sur le cacao et l’Afrique de l’Ouest interrogent, notamment à la lueur du salon de l’Agriculture et des ressources animales (Sara) qui s’est déroulé fin septembre-début octobre à Abidjan et dont les Pays-Bas étaient pays à l’honneur. Les Pays-Bas, mastodonte dans la filière aval du cacao, grand chocolatier mondial, sont en première ligne quand il s’agit de durabilité de la filière cacao, de juste rémunération des planteurs, de politique équitable.

Jean-Yves Couloud, Conseiller Senior pour le Cacao à l’ambassade des Pays Bas en Côte d’Ivoire, a accepté de répondre à certaines questions de CommodAfrica sur la filière cacao afin de mieux saisir la complexité de cette filière, de ses enjeux et de ses possibilités.

Dans le cadre de la volonté politique ivoirienne de capter le maximum de valeur ajoutée, créer des usines allant jusqu’au produit fini, c’est bien, mais c’est une politique à très long terme. En attendant, ne serait-il pas envisageable que sous forme d’entreprises semi-publiques ou publiques, l’État ivoirien prenne des parts au capital des grandes multinationales cotées en bourse, afin de capter ainsi le maximum de valeur ajoutée ? Est-ce envisageable ? Peut-on imaginer que cette « cession » aux pays producteurs d’une part du capital des multinationales chocolatières soit conçue comme faisant partie de la politique de responsabilité sociétale de ces grands groupes, la fameuse RSE ?

C’est une très bonne proposition ! C’est envisageable. Rien n’est impossible. Il faut voir maintenant de manière pratique comment les pays africains producteurs de cacao puissent développer des mécanismes pour pourvoir intégrer le capital de ces grands groupes. Ils pourraient d’ailleurs, ainsi, participer à la prise de décision quant à l’avenir du cacao.

Ceci s’est d’ailleurs fait avec d’autres matières premières dans d’autres pays. Ce serait bien que les pays africains en prennent exemple et intègrent ces grands groupes. Ce serait des partenariats gagnant-gagnant. Cela pourrait permettre de toujours maintenir en vie cette filière du cacao tant au niveau des producteurs que des consommateurs.

Sinon, selon vous, est-ce envisageable que la Côte d’Ivoire monte en puissance dans la semi-transformation et la transformation du cacao, avec pour objectif final le produit fini, le chocolat, destiné à l’exportation et/ou au marché local ?

C’est très envisageable dans la mesure où ce n’est pas la première fois sur la scène des matières premières que cela a été fait ici, en Côte d’Ivoire. Si on prend le cas du bois, il était auparavant exporté en grumes. Or, il a été demandé à tous les exportateurs de bois de le transformer avant de l’exporter et cela s’est fait. Pourquoi ne pas faire de même avec les fèves du cacao ? Donc c’est faisable. C’est une question de paradigme qu’il va falloir changer : au lieu de toujours penser à exporter des fèves, il est très faisable de transformer ne serait-ce qu’en première transformation, sinon pourquoi pas en chocolat et autres produits finis. Ceci donnera de la valeur joutée au pays, au producteur. L’idéal est même de faire cette transformation au plus près du producteur.

Vous avez un tel projet …

Exactement. Les Pays-Bas ont, pour l’instant, un projet pilote avec une coopérative qui va requérir de gros investissements en termes de moyens financiers, humains et matériels. On va donc commencer avec une coopérative qui peut faire au moins 5 000 tonnes de cacao sur l’année avec la possibilité de transformer 500 kg par heure. Ceci fera l’objet d’un projet pilote que les Pays-Bas vont prochainement mettre en œuvre avec une coopérative ivoirienne.

Le fait que cette transformation se fasse au plus près de la production permettra de générer des emplois directs, d’offrir au producteur une alternative de revenu, ainsi que des opportunités d’emplois indirects autour de l’usine avec la création de petites activités telles que la restauration, etc.

Donc, c’est possible de transformer et c’est mieux encore si on le fait au plus près des producteurs.

D’autre part, il est vrai que c’est un programme pilote, avec l’expertise néerlandaise. J’insiste sur ce point car les Pays-Bas ont longtemps été le premier pays transformateur avant que la Côte d’Ivoire ne prenne le dessus. Mais c’est cette expertise des Pays-Bas qui peut être transférée en termes de maintenance du matériel et d’accompagnement à la coopérative qui sera intégrée à ce programme, que ce soit en termes de financements, de fonds de roulement, de transport du produit semi-transformé jusqu’en Europe, aux Pays-Bas notamment, jusqu’aux clients finaux qui auront été préalablement identifiés. Par conséquent, on pourra vérifier comment et si cela améliore effectivement les revenus des producteurs.

Sauf erreur de ma part, les majors suisses, américaines, etc. du chocolat -Barry Callebaut, Nestlé, Mars, Hershey, etc.- ont des usines aux Pays-Bas allant jusqu’au produit fini. Curieusement, il n’existe pas d’importants groupes néerlandais de transformation finale…

C’est vrai. Ce sont des filiales de groupes étrangers qui sont installées aux Pays-Bas. Elles le sont en raison de l’importance du port d’Amsterdam comme plaque tournante mondiale du cacao. C’est pourquoi les Pays-Bas sont le premier importateur de cacao.

Dans les plantations de cacao, il y a une volonté de plus en plus marquée de développer les productions vivrières. Pourquoi ?

Lorsqu’on met en place une plantation de cacao, elle ne produit pas de suite. Il faut attendre environ 2 à 3 ans pour avoir une véritable production même si les premiers fruits encore appelés cherelles apparaissent après 18 mois pour les variétés améliorées hybrides de dernière génération. Entre-temps, le paysan doit vivre. En outre, les produits vivriers atténuent la prolifération de mauvaises herbes ce qui est bon pour les cacaoyers et permettent de diversifier les revenus. Le plus commun est la banane plantain qui est très consommée et qui procure de l’ombrage aux cacaoyers. Ses feuilles sont utilisées pour la fermentation des fèves de cacao. C’est au cours de la fermentation que les arômes du cacao se développent.

Dans la lutte contre la maladie du swollen shoot qui atteint une bonne partie du verger cacaoyer ivoirien, lorsque le cacaoyer malade ou supposé malade est coupé, il y a un accompagnement en fournitures et autres moyens du Conseil café-cacao pour développer les cultures vivrières. De plus, dans le calcul du différentiel de revenu décent (DRD) du producteur, la part des revenus provenant de la culture du cacao est ressortie de façon claire mais aussi la part des autres cultures, comme les activités d’élevage et autres activités non agricoles le cas échéant. Ceci explique aussi tous ces programmes d’accompagnement du ménage et non pas du seul planteur permettant de développer toutes sortes d’activités génératrices de revenus pour atteindre un revenu décent qui lui donnera envie de continuer à cultiver le cacao et à rester dans son milieu jusqu’à l’arrivée de ses enfants dans la cacaoculture.

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