Comment développer une filière lait en Afrique de l’Ouest avec des importations de poudre taxées à 5%

 Comment développer une filière lait en Afrique de l’Ouest avec des importations de poudre taxées à 5%
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La vulnérabilité de la filière du lait en Afrique de l’Ouest s’est accentuée ces derniers mois car les stocks de lait en Europe ont encore augmenté, laissant présager d’une forte hausse des exportations  de lait en poudre vers l’Afrique de l’Ouest. Or, cette région en est déjà fortement importatrice, la production et la productivité locale étant faibles et la filière faiblement protégée par rapport aux importations très compétitives.

Une TVA de 5% sur le lait en poudre importé jusqu’en 2023

La Cedeao vient d’arrêter une politique régionale ambitieuse. “L’une des ambitions de la stratégie est de collecter à l’horizon 2030 l’équivalent de 25% du lait frais local produit en Afrique de l’Ouest contre 2% actuellement.  On veut aussi porter la capacité de production de quelque 5 milliards de litres aujourd’hui  à 10 milliards d’ici 2030. Donc la collecte de 25% exige un effort titanesque d’investissement par les acteurs locaux et les Etats“, a expliqué Bio Goura Soulé, assistant technique Elevage et pastoralisme à la CEDEAO à l’occasion d’un webinar organisé fin mai par Vétérinaires sans Frontières, avec Oxfam, SOS Faim et le Comité français pour la solidarité internationale. “Cette stratégie est quasiment prête et elle est en cours de validation. Le premier jet a été élaboré et devait être validé à Ouagadougou en mars. Avec le confinement, elle a été reportée au 28 mai“, soit la veille du webinar.

Un webinar qui a souligné comment, d’une part, la filière en Afrique de l’Ouest veut défendre sa filière locale, soutenue en cela  par la campagne européenne “N’exportons pas nos problèmes”, mais, d’autre part, le lait en poudre européen entre sur le marché ouest-africain avec un taux de douane de seulement 5%, difficile à concurrencer. La région de la Cedeao ne cesserait de repousser la réforme de cette fiscalité extérieure car elle subit des pressions  de l’UE, a-t-il été souligné. “En principe, le tarif extérieur commun devait être révisé cette année, en 2020“, a précisé encore Bio Goura Soulé. “Mais les Etats se sont encore donnés un moratoire de 3 ans pour que les dérogations actuelles subsistent jusqu’en 2023. Donc pendant encore 3 ans, on va vivre dans le même contexte : un environnement complètement défavorable à la production locale de lait.”

Un déficit de production et de distribution

Mais qu’en est-il de la situation actuelle de la filière laitière en Afrique de l’ouest ? “La production en Afrique de l’Ouest a été de 6 268 575 tonnes (t) en 2018 selon les dernières statistiques de la FAO, et la production croît d’année en année”, a souligné Gilles Vias, directeur des opérations en Afrique de l’Ouest de Vétérinaires sans frontières Belgique. L’espèce bovine  prédomine parmi les races productrices de lait avec 57%, suivie des espèces caprine, ovines et camélines.

Une production très concentrée géographiquement puisque les pays du Sahel fournissent 76% de la production régionale, avec en tête trois pays : le Mali, le Niger et la Mauritanie. Dans la région, le système laitier extensif est majoritaire et approvisionne à 70% la production ouest africaine, un système semi-intensif n’étant qu’en émergence tout comme la production péri-urbaine. Ceci dit, la production ouest-africaine ne représente que 1% de la production mondiale, l’ensemble de l’Afrique représentant 14% de celle-ci.

Quant à la consommation dans la Cedeao, elle est très faible, en moyenne de 23 kg/habitant/an, mais avec de fortes disparités puisque les populations sahéliennes en consomment environ 65 litres équivalent lait par personne et par an contre 5 à 7 litres dans les pays côtiers. Une demande en plein essor en raison de la croissance démographique, de la jeunesse de la population forte consommatrice de lait et de la hausse du pouvoir d’achat de la classe moyenne.  “Quand on met tout ces ingrédients en place, on voit que les opportunités sont réelles pour le développement du  lait local et pour qu’il gagne en parts de marché.”

La nécessaire industrialisation de la collecte

Actuellement, rappelle Gilles Vias, “Dans l’assiette du consommateur, deux produits co-existent : le lait local qui représente 60 à 70% et le lait importé avec 25-30%“, poursuit Gilles Vias. “Car le problème est que le lait est en brousse et les consommateurs sont en ville. Il faut donc faire un pont entre les zones de production et celles de consommation et donc passer par l’industrialisation de la collecte.”

Pour le spécialiste, deux modèles ont réussi en Afrique de l’Ouest : les centres de collecte multiservices et les mini-laiteries qui transforment et mettent des produits laitiers sur le marché.

Il y a des opportunités mais il y a aussi des menaces qui sont les importations laitières. Aujourd’hui, quand on prend les unités de transformation industrielle en Afrique de l’Ouest, on est dans une proportion de 7% de lait local et 95% de lait importé qui est transformé en produits laitiers. Donc on voit que ces importations ont des conséquences énormes tant au niveau des pays qu’au niveau de la filière et des producteurs.

Deux instruments existent pour limiter ces importations : relever les droits de douanes qui, rappelons-le, sont actuellement de 5% sur la poudre de lait importée d’Europe, l’autre est la politique du robinet. Cette dernière “a fait ses preuves par exemple au Sénégal”, souligne le spécialiste. “Au moment où le lait local est disponible, il faut arrêter les importations pour valoriser la filière locale. Lorsque le lait n’est pas disponible puisque la production est saisonnière, on autorise les  importations. Il faut, pour cela, qu’il y ait une harmonisation entre nos politiques commerciales et sectorielles.”

L’importance du coût des intermédiaires

La compétitivité est un facteur clef. ” Au Sénégal, le lait reconstitué est à FCFA 342 alors que sur la région de Dakar le lait local est entre 500 à 700 francs et dans la région sylvo-pastorale entre 200 et 400.” Donc, outre la faible protection vis-à-vis du lait importé, le coût des intermédiaires à l’intérieur du pays est très élevé.  Et ce sans même évoquer les questions de qualité et régularité de l’offre.

La réalité qu’on ne peut pas nier est que tout d’abord nous avons un déficit laitier qui va persister, d’autre part, nous avons une pression de la demande avec le poids démographique, l’urbanisation et le pouvoir d’achat“, a résumé Gilles Vias.  

Aujourd’hui”, a déclaré pour sa part Bio Goura Soulé de la Cedeao, ” la région a  besoin d’une politique très claire notamment au plan commercial. De ce point de vue, il faut un bon dialogue déjà au sein de la Cedeao, entre les départements du Commerce et de l’agriculture.” Et le spécialiste de rappeler que “toute la négociation avec l’UE sur le libre échange a été faite sans que le département de l’Agriculture n’ait été associé. Ceci montre des faiblesse sur lesquelles il faut travailler.” A ceci se greffent les accords commerciaux entre l’UE et l’Afrique de l’ouest qui ne permettent pas des mesures de protection de la filière locale et constitue “un environnement défavorable.”

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