Marché mondial de la noix de cajou : l’orage semble passé

 Marché mondial de la noix de cajou : l’orage semble passé
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La campagne 2023 laissera un goût amer aux agriculteurs d’Afrique de l’Ouest avec une chute substantielle du prix au producteur de la noix de cajou brute au fil des mois, qui est allé jusqu’à se situer en dessous du prix plancher bord champs.

Si le marché a été fortement déséquilibré avec simultanément une hausse de la production et une baisse de la consommation la situation semble se rééquilibrer sans que l’on se retrouve dans les niveaux fastes de ces dernières années.

Explication et analyse de Pierre Ricau, Senior Market Research Analyst chez Nitidae pour CommodAfrica.

Le marché du cajou a connu une forte baisse de la consommation en 2023, surtout au 1er trimestre 2023, mais depuis elle semble reprendre, pouvez-vous le confirmer ?

La dégringolade de 25% des importations d’amandes de cajou des Etats-Unis au 1er trimestre 2023 c’est du jamais vu.  Même en 2008 où il y avait une grosse baisse de la consommation suite à la crise des subprimes, elle n’était que de l’ordre de 10 à 15%. Deux explications à cette chute. La dynamique de la consommation a fortement ralenti à la suite de la baisse du pouvoir d’achat. C’est un peu le même phénomène que celui observé sur les produits biologiques, et cela ne touche pas que la noix de cajou mais tous les fruits à coque.  Deuxièmement, il y a le précédent post-covid où de nombreuses entreprises agroalimentaires ont eu tendance à réduire leur stock immobilisé. La tendance s’est maintenue, les entreprises travaillant avec des stocks plus bas. La hausse des taux d’intérêt y contribue aussi. Ainsi, les entreprises préfèrent avoir des stocks en mer, surtout que la crise logistique semble être dernière nous.

Donc, il n’est pas certain que la demande reprenne ?

Ces dernières années, la croissance du marché s’est beaucoup construite sur la demande occidentale, avec l’Inde en lame de fonds. Aujourd’hui, on constate une stagnation même une baisse en occident mais une croissance très rapide en Asie et au Moyen-Orient. Cela s’explique de deux manières. Au Moyen Orient, les pays pétroliers ont vu leur richesse croître et donc le pouvoir d’achat et ils consomment de plus en plus de noix de cajou.  L’Asie a redémarré et la Chine qui avait beaucoup ralenti l’année dernière reprend le chemin de la croissance. Car finalement à l’échelle de la Chine, la consommation de noix de cajou c’est tout petit mais c’est le troisième marché mondial environ 80 000 tonnes. En outre, le potentiel de croissance est énorme, compte tenu de sa population et du fait que la noix de cajou est encore peu connue. La consommation croît aussi au Vietnam, en Thaïlande, en Malaisie, aux Philippines, etc. et bien sûr toujours en Inde.  Au Moyen-Orient, le taux de croissance est d’environ 10% par an pour le cajou et plutôt de 4 à 5% pour l’Asie.

L’Afrique est-elle présente sur ces marchés en croissance au Moyen-Orient et en Asie ?

Elle y vient. Historiquement, étaient un peu présents le Mozambique et la Tanzanie. Beaucoup moins Afrique de l’Ouest. Mais ça vient. La Côte d’Ivoire exporte de plus en plus vers les Émirats arabes unis (EAU) et elle a commencé vers le Koweït. Des groupes de trading aux EAU se rendent dans les pays où la transformation croît, comme en Côte d’Ivoire et au Nigeria, et cherchent à identifier des usines pour diversifier leur sourcing.

Le développement des exportations d’amandes de cajou de la Côte d’Ivoire est impressionnant. Mais d’un autre côté, le Groupement des industriels du cajou en Côte d’Ivoire (GIC-CI) a tiré à plusieurs reprises la sonnette d’alarme soulignant que de nombreuses entreprises de transformation étaient à l’arrêt ou en faillite. Que se passe-t-il ?

L’industrie ivoirienne du cajou est diversifiée. Une majorité des usines de transformation sont issues des investissements directs étrangers, que cela soit en provenance de Chine, du Vietnam, de l’Inde, de Singapour ou d’Espagne. Tous arrivent avec des capitaux, du savoir-faire technique et font de ce qu’il y a de meilleur en Asie. Ainsi, leurs usines sont au top niveau et elles disposent de fonds de roulement pour acheter la matière première.

De l’autre côté, nous avons des usines qui ont été construites par des hommes d’affaires ivoiriens avec moins de savoir-faire industriel et de capitaux et qui n’arrivent pas à faire tourner leurs usines faute de trésorerie. Si l’investissement dans une usine est d’environ $10 millions, la faire tourner nécessite $20 millions de cash-flow.

Alors que la campagne s’achève, les stocks d’invendus sont-ils importants ?

Cette année, on estime que la production ivoirienne sera d’au moins 1,250 million de tonnes, en hausse de 20% par rapport à 2022. Mais, aujourd’hui la transformation croît aussi vite que la production.  La Côte d’Ivoire compte 25 usines en activité en 2023 avec une capacité installée de plus de 400 000 tonnes et au moins une dizaine de plus sont en construction.

Si on fait le calcul entre les exportations, les achats des usines, et les achats de contrebande via le Ghana (entre 150 et 200 000 tonnes), les stocks ne sont que de quelques dizaines de milliers alors que l’on craignait entre 150 000 à 200 000 tonnes.

Les grands perdants sont donc les producteurs ?

Clairement.  Heureusement, la baisse des prix est surtout intervenue à partir du mois d’avril et une fraction de leur production a été vendue en mars entre FCFA 250 et FCFA 350 le kilo ce qui a sécurisé une partie des revenus des producteurs. Environ la moitié de la récolte a été vendue en dessous de FCFA 300 le kilo, donc à un niveau bas. Les ventes groupées ont permis d’amortir la baisse mais elles ne représentent qu’environ 10% de la production.

Avec une baisse des prix surtout à partir d’avril, les pays qui ont démarré leur campagne plus tardivement ont été pénalisés ?

Oui, comme l’année dernière, la Gambie, la Guinée Bissau et le Sénégal, ont été très désavantagés arrivant les derniers sur le marché alors qu’ils n’avaient pas soldé leurs invendus de l’année dernière.

Ce sont pourtant des noix de qualité supérieure dans ces trois pays ?

Oui, ce sont des noix de très bonne qualité. Mais, on constate que la qualité moyenne s’est améliorée sur le reste de la sous-région, notamment en Côte d’ivoire et au Ghana. En outre, l’automatisation fait que la qualité est moins importante. Le différentiel de prix entre ces trois pays et les autres pays d’Afrique de l’Ouest s’est fortement réduit passant de $250-300 la tonne il y a 10 ans à aujourd’hui $100 et ceci est lié à l’amélioration de la qualité dans la zone centrale et à l’automatisation des processus.

Quel est votre sentiment pour la prochaine campagne ?

Le déséquilibre offre-demande en 2023 est en train de se résorber avec la croissance de la consommation au Moyen Orient et à l’Asie, mais je ne crois pas à une forte remontée des prix. Je crois plutôt à une stabilisation des prix et/ou à une légère hausse. Pourquoi ? Les populations d’Asie du Sud-Est et du Moyen-Orient qui consomment de plus en plus de noix de cajou sont beaucoup plus sensibles aux hausses de prix que les Européens ou Américains. Si la consommation croît dans ces pays c’est aussi parce que la noix de cajou n’est pas chère. Et puis surtout il y a la concurrence des autres noix qui sont à des prix très attractifs.

A moins que l’on ait une remontée générale des noix, je pense que l’on rentre dans un cycle de plusieurs années avec des prix de la noix de cajou qui seront plus proches de ceux dans les années 2000, où les bons prix étaient de l’ordre de FCFA 300 le kilo et les mauvais de FCFA 100.

Il reste bien sûr des incertitudes pour 2024 mais ma conviction est que l’on a atteint le plus bas.

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