Les prémices de la crise sur le marché de la banane

 Les prémices de la crise sur le marché de la banane
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Après un excellent 1er trimestre 2018 tant en prix qu’en volume, le marché de la banane fait face depuis le mois d’avril à une chute rapide des prix. La crise de surproduction frappe le secteur de plein fouet au moment où des négociations vont s’ouvrir prochainement entre l’Europe et les pays de la zone dollar pour abaisser les droits de douane.

Interview à CommodAfrica de Denis Loeillet, responsable de l’Observatoire des marchés du Cirad-Persyst UR 26 et rédacteur en chef de la revue FruitTrop du Cirad, à l’occasion de la publication  du Rapport Cyclope 2018 sur les marchés mondiaux des commodités (cf. nos informations). 

Comment se porte le marché de la banane ?

Depuis quelques années, nous attendions une catastrophe sur le marché de la banane. Jusqu’à présent, elle a été contrecarrée par les aléas climatiques, qui ont réglé le problème de l’offre. Mais, cette année, les prémices de la vraie crise sont peut-être la.

Si tout le 1er trimestre a été exceptionnel en termes de prix et de volume à partir du mois d’avril la dégringolade a été phénoménale. Nous sommes passés de prix historiquement élevés à 18-19 euros le carton à des prix quasiment historiquement bas à cette époque. En Pologne, le carton s’affiche à 3- 4 euros.

Pourquoi ? Il y a eu un effet zéro des aléas climatiques de l’automne, aléas qui avaient touché la République dominicaine, la Guadeloupe, la Martinique (cf. nos informations). Or, la base productive internationale est absolument énorme.

Mais, la consommation est aussi très élevée ?

Effectivement, tout cela à alimenter une forte consommation. Qui de la consommation, qui de l’offre tire le marché ? Sans doute un peu des deux. Depuis 2011, le marché international a augmenté de 2,3 millions de tonnes sur les cinq-six grands marchés de consommation, ce qui est très important. Mais les arbres ne grandissant pas jusqu’au ciel ! Il y a à un moment donné un plafond de verre et nous y sommes peut-être déjà.

Surtout, que le train est lancé à grande vitesse et que l’on va avoir du mal à l’arrêter. En Equateur, on augmente la productivité, en Colombie même au Costa Rica où la productivité est déjà très élevée, au Panama, au Guatemala. Par exemple, si vous augmentez le rendement en Equateur d’une tonne à l’hectare, vous avez tout de suite entre 150 000 et 200 000 tonnes de plus de bananes sur le marché international. Or, 200 000 tonnes c’est le tiers du marché français annuel. De « nouveaux anciens » se remettent sur le marché comme le Honduras et le Nicaragua.

Même l’Afrique de l’Ouest étend sa production à l’exception du Cameroun, même si des projets sont annoncés. En Côte d’Ivoire, la barre des 500 000 tonnes exportations à moyen terme est maintenant visible. Nous sommes à plus de 300 000 tonnes cette année et les 500 000 tonnes avec la base productive actuelle est atteignable sans problème.

Jusqu’à présent, nous avions une bonne adéquation entre une offre très forte et une consommation dynamique. Depuis quelques années, les fruits concurrents à la banane, comme les pommes et les poires, connaissent des difficultés. Les stocks de pommes en Europe sont historiquement bas. Tout cela profite à la banane, qui n’est pas chère. En outre, il y a eur des effets de rattrapage en Europe, avec une consommation dans les nouveaux Etats membres qui progresse deux fois plus vite que la moyenne européenne.

Mais certains facteurs qui soutiennent la consommation vont s’arrêter un jour ou l’autre. Les stocks des pommes et poires ne vont pas rester bas Ad vitam aeternam. Et puis, cette année, la production européenne de fruits d’été – pêche, nectarine, abricots, etc. – est dans la moyenne, voir au-dessus, donc, si on se projette à très court terme, on va continuer à avoir des prix bas.

A cette période de l’année, et avec l’arrivée des fruits d’été, n’est ce pas toujours le cas  ?

Sauf que la chute a démarré en avril, qu’elle est donc bien plus précoce, bien plus rapide et bien plus intense. Effectivement, nous allons rentrer dans une période qui n’est jamais faste pour la banane mais nous y rentrons déjà très affaibli.

Structurellement, la bananeraie produit et va continuer à pousser au Costa Rica, en Colombie, en Equateur. Nous connaissons les programmes de production et personne ne pense qu’avant la fin de l’été, il va y avoir un rebond sur le marché international.

Qu’est ce qui a déclenché cette dégringolade des prix ?

On a du mal à le savoir. Il y a un certain nombre de facteurs. La crise est venue de Russie et s’est transférée d’Est en Ouest. La Russie, qui a atteint un niveau historique de consommation à 5 Mt, a eu un appétit trop grand par rapport à ce qu’elle pouvait consommer. Nous avons assisté à un embouteillage de bananes équatoriennes à bas prix qui s’est propagé aux autres pays. La Pologne a joué le fusible et au fur et à mesure cela s’est transféré jusqu’aux marchés plus organisés, comme ceux de l’Allemagne et de la France.

Et puis vous avez une offre, elle s’exprime. En Colombie, il n’y a pas un seul kilo qui est jeté. Quand l’offre s’exprime, elle est exportée. Il faut se situer plus loin dans la crise pour que les exportateurs commencent à couper et à laisser sur place. Pour l’instant le train est lancé. Le supplément d’offre était compensé par une consommation très bonne. Mais, nous n’allons pas continuer à avoir une croissance de la consommation entre 3 et 5 % par an sur le marché européen.

Dans un tel contexte, la stratégie de l’Afrique de se tourner vers le marché intérieur et régional est opportune ?

Si en termes de volume cela reste assez étroit, c’est clairement un axe de développement de la bananeraie africaine. Un axe qui correspond à l’augmentation de la population, de l’urbanisation, etc. ainsi qu’au développement de la grande distribution en Afrique. Les marchés local et régional vont se développer.

Si on se projette à dix ans, tous les grands groupes auront, et pour certains l’ont déjà, une stratégie de commercialisation nationale et régionale. C’est une évidence. Il y aura aussi une plus grande intégration de ce secteur bananier export, qui a toujours été un peu vu comme une verrue, au niveau local car le développement local dans les zones où l’on produit de la banane est indispensable à la stabilité des grands sociétés, à la rentabilité.

Où en est-on de l’aide européenne à la filière africaine ?

Le programme MAB (Mesures accompagnement banane) est terminé. Ils décaissent les dernières aides. Les producteurs ACP, notamment africains, mènent un lobby très important à Bruxelles pour obtenir un nouveau programme.

Je pense que la banane va revenir sur le devant de la scène au niveau international et réglementaire, car nous allons commencer à ouvrir les négociations avec les origines dollars qui veulent que les droits de douane soient abaissés à zéro. Ce dossier va être ouvert et il y aura un peu de grains à moudre pour les ACP mais aussi pour la production européenne. Au 1er janvier 2020, on tombe à 75 euros la tonne.

Cela va prendre un peu de temps mais cela va se faire dans contexte où le multilatéralisme a du plomb dans l’aile. Cela va être intéressant. Le jeu sera différent de celui joué depuis 1993.

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