A l’heure du renouveau du Robusta, la collection de caféiers du CNRA a sa carte à jouer

 A l’heure du renouveau du Robusta, la collection de caféiers du CNRA a sa carte à jouer
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Rien n’est immuable et le monde du café n’échappe pas à cette règle. C’est en tous cas une des conclusions que l’on pouvait tirer à l’issue de deux journées de concertation de chercheurs et scientifiques venus des quatre coins du monde et qui se sont retrouvées à Divo, en Côte d’Ivoire, à l’invitation du Centre national de recherche agronomique (CNRA) de Côte d’Ivoire, de l’Organisation interafricaine du café (OIAC) et du World Coffee Research (WCR- lire l’interview de Christophe  Montagnon A Divo, la recherche mondiale sur le café Robusta se prépare aux changements climatiques).

Pourquoi Divo ? Car à une petite vingtaine de kilomètres de cette ville, à deux heures et demi d’Abidjan, se trouve la station de recherche du CNRA créée en 1956. Sur les 3 520 ha sur lesquels se déploie la station, 1 000 ha sont exploités pour la recherche et la production, précise Tahi  Mathias, directeur intérimaire de la station et chef du programme de sélection du cacao qui est venu accueillir, hier, la vingtaine de chercheurs venus du Vietnam, d’Indonésie, d’Inde, du Mexique, du Guatemala, du Nicaragua, d’Ouganda, de France et de Côte d’Ivoire, mais aussi des grands groupes caféiers mondiaux, Nestlé, Mercon et Lavazza.

Sur la station de recherche, la végétation est luxuriante. Autour, des villageois exploitent palmiers à huile, hévéa, cacaoyers, caféiers, entre autres. Mais le joyau  de la station est sa collection de caféiers. Une collection unique au monde créée en 1987 en partenariat avec les centres français de recherche comme l’IRD et le Cirad, ainsi que la FAO entre autres entités. Aujourd’hui, on compte 8 000 “accessions” -pieds de caféiers-  recouvrant  93 différentes espèces sur les 120 caféiers recensés à travers le monde. Des espèces aux particularismes très divers dont la résistance à la fois au temps très sec et très humide, d’autres évoluant à l’ombre d’immenses fromagers car ne supportant pas le soleil, ou d’autres encore totalement sauvages, la couleur sombre de leurs grains n’étant repérables que par les chauve-souris qui se chargent la nuit de la pollinisation.

Une collection qui coûte cher à entretenir, de l’ordre de € 300 000 à € 500 000 par an. La station du CNRA tire ses ressources de l’exploitation des produits in situ, de la fourniture de plants aux producteurs ivoiriens et à l’export, mais surtout des financements du Conseil du café cacao (CCC) dans le cadre de projets ciblés. A noter que si la distribution gratuite des plants de cacao a été gelée il y a deux ans en Côte d’Ivoire afin de limiter la progression de la production qui pèse sur les cours mondiaux (avec pour risques collatéraux que les cacaoculteurs se tournent vers le “tout venant” en semences  ce qui, à terme, dégraderait la qualité du verger), en revanche, ce n’est pas le cas pour le café.

Une recherche qui colle au terrain

Le programme de recherche cacao est basé ici, à Divo, avec 12 chercheurs sur place, mais les chercheurs du programme café sont maintenant à Man même si les essais se font toujours ici“, explique Hyacinthe Legnate, chef du Programme café au CNRA.

Au menu des programmes de recherche cacao, l’amélioration génétique et agronomique ainsi que la défense des cultures. Quant au café, les chercheurs se concentrent essentiellement sur la productivité et la résistance à la sécheresse, avec pour préocupation première de “coller” au plus près aux réalités du terrain. Ainsi, les caféiers reçoivent 150  gr d’engrais répartis  en deux fois par an car les caféiculteurs n’ont guère les moyens de les traiter davantage. A noter que le travail sur les maladies et parasites du caféier n’est pas l’essentiel des priorités des chercheurs : “En Côte d’Ivoire, le climat est très favorable au Robusta. Il y a peu de parasites, avec juste un peu de scolytes et de rouille, mais en réalité très peu“, souligne encore Hyacinthe Legnate.

Un défi majeur à relever

La collection de la station de Divo fait rêver plus d’un chercheur en raison de la richesse des espèces de caféiers qu’elle recèle, même si certains soulignent le décalage entre cette collection scientifique et leur réelle exploitabilité sur le terrain. Car l’impératif de résultat hante actuellement le monde de  la recherche sur le Robusta, tant la demande mondiale caracole.

Des études ont prouvé qu’avec le phénomène de changement climatique, les aires de production d’Arabica au niveau mondial vont se rétrécir et entrainer la baisse de production de ce type de café au profit du Robusta“, a souligné Edgard Koffi Kouamé, directeur des études économiques à l’OIAC. D’ailleurs, des chercheurs du Mexique et du Nicaragua, pays traditionnellement producteurs d’Arabica, étaient présents à la réunion de Divo car, précisément, leurs pays entendent se tourner vers le Robusta, moins vulnérable aux changements climatiques, plus facile à cultiver, moins coûteux car moins gourmands en intrants.

Quant à l’Afrique du Robusta, elle doit mettre les bouchées doubles. “La production africaine du Robusta représente 11,07 % de la production mondiale estimée à 64 804 millions de sacs (Ms) de 60 kg en 2017/18“, a précisé le responsable à l’OIAC. Pourtant, sur les 25 pays membres de l’OIAC, 19 sont producteurs de Robusta, l’Ouganda et la Côte d’Ivoire représentant à eux deux 74% de la production continentale de cette variété de café estimée à 7 179 Ms sur 2017/18.

Au-delà du Robusta, c’est l’ensemble de la filière café -Arabica et Robusta- qui doit se ressaisir, selon le responsable. Depuis plusieurs campagnes, précise-t-il, la production africaine stagne aux alentours des 17 Ms alors que celle mondiale est passée de 157,3 Ms en 2016/17 à 165,4 Ms la campagne suivante. Et, face à cela, la consommation planétaire est passée de 5,2 millions de tonnes (Mt) en 1990 à plus de 9 Mt aujourd’hui ; elle atteindrait 10 à 11 Mt d’ici 2030. Il faut donc que le monde produise 900 000 t à 1 Mt de plus durant cette prochaine décennie.

L’Afrique ne veut pas manquer ce rendez-vous. Si les chercheurs des pays producteurs de Robusta à travers le monde serrent les rangs -ce qui est plutôt une nouveauté- pour profiter des nouvelles opportunités que le marché fournit à cette variété de café souvent mal aimée, la concurrence risque d’être féroce à terme. D’où, d’ailleurs, la volonté de l’OIAC de jouer la carte continentale et rejoindre prochainement le giron de l’Union africaine pour devenir son agence spécialisée en matière de café avec un bras Robusta -l’Agence des cafés Robusta d’Afrique et de Madagascar (Acram)- et un autre bras Arabica -African Fine Coffees Association (AFCA) .”Il s’agit, in fine, de hisser le café au rang de produit stratégique pour l’Afrique“, conclut Komlan Wegbe, directeur de Recherche Développement de l’OIAC.

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