Dégradation de la qualité du coton en Côte d’Ivoire : « le facteur principal réside dans le manque de rigueur de la récolte du coton-graine »

 Dégradation de la qualité du coton en Côte d’Ivoire : « le facteur principal réside dans le manque de rigueur de la récolte du coton-graine »
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Le coton ivoirien subit une décote sur le marché international par rapport aux autres origines ouest-africaines en raison de la dégradation de la qualité de la fibre. Consciente de cette perte de qualité, l’Association professionnelle des sociétés cotonnières de Côte d’Ivoire (Aprocot-Ci) a tenu fin octobre un atelier sur la qualité du coton ivoirien où ont été notamment restitués  et discutés les résultats d’une étude réalisée par Gerald Estu et Vamissa Diomandé. Monsieur Brou Kouakou, directeur exécutif de l’Aprocot-Ci, revient dans une interview accordée à CommodAfrica sur les facteurs internes et exogènes de la détérioration de la fibre ivoirienne.

La production de coton en Côte d’Ivoire est en hausse constante mais la qualité s’abaisse faisant oublier la fameuse variété Mambo ce qui génère des pertes de revenus. Quelle est la décote du coton ivoirien sur le marché international ?

Les cotations du coton ivoirien sur le marché mondial reflètent la dégradation de sa qualité. L’origine Côte d’Ivoire est désormais décotée par rapport aux origines ouest-africaines auxquelles elle a servi de modèle. Certains négociants sont réticents à acheter le coton ivoirien ou l’achètent en dernier recours en tirant sur les prix puisque les filateurs ne considèrent plus la qualité du coton d’origine Côte d’Ivoire comme étant suffisamment fiable pour pouvoir constituer la base de leur mélange.

Début janvier 2004, la cotation du MANBO/S 1-1/8 dans Cotton Outlook était 2,5 cents par livre au-dessus de celle du JULI/S 1-1/8 du Mali et 1,5 cent par livre au-dessus de celle du KABA/S 1-1/8 un et 18 du Bénin. En janvier 2021, la cotation du MANBO/S se situe 1,25 cent au-dessous de celle du JULI/S et 1 cent au-dessous de celle du KABA/S.

Au taux de change actuel, l’impact de la décote – soit 2 cents par livre – représente environ 25 FCFA/kg de fibre.

Au taux de change actuel, l’impact de la décote – soit 2 cents par livre – représente environ 25 FCFA/kg de fibre. Cette décote serait plus importante encore si le coton ivoirien n’était pas certifié CmiA, ce qui lui vaut une petite prime (0,5 à 0,75 cent/livre soit environ 8 FCFA/kg) par rapport aux origines qui ne le sont pas (notamment le Mali).

Quelles sont raisons identifiées de la dégradation de la qualité du coton ivoirien au niveau de l’organisation et du fonctionnement de la filière ?

L’extension des surfaces dopée par l’augmentation du prix d’achat du coton-graine au producteur et l’accroissement de la production qui en a résulté ont  exacerbé la concurrence des travaux agricoles de la cotonculture avec les cultures vivrières, l’anacarde et l’orpaillage.

A l’évidence, l’augmentation du prix d’achat du coton-graine a entraîné une extensification de la culture cotonnière qui a boosté la production. Mais cette augmentation, accordée sans conditions, a été préjudiciable à la qualité du coton-graine et donc à la qualité de la fibre.

La culture cotonnière est une culture exigeante dont la conduite réclame de la rigueur : « le coton est une culture de discipline ». Or, les règles de base de la récolte fractionnée ne sont plus appliquées.  Pourquoi ?  Parce que les producteurs ne les connaissent pas ou parce qu’ils n’ont pas les moyens humains et matériels de les appliquer ou encore parce qu’ils ne voient pas l’intérêt de les mettre en pratiques faute d’incitation ou de sanction pour ne pas les avoir respectées.

les producteurs récoltent les parcelles lorsque toutes les capsules sont ouvertes, « à la volée » et au plus vite de sorte que le coton-graine est “tout-venant”, donc hétérogène.

Faute de main d’œuvre suffisante ou de moyens financiers pour la payer, les producteurs récoltent les parcelles lorsque toutes les capsules sont ouvertes, « à la volée » et au plus vite de sorte que le coton-graine est “tout-venant”, donc hétérogène. Le stockage s’effectue souvent en vrac et sans précaution, ni protection !

Mais les producteurs ne sont pas les seuls responsables de la dégradation de la qualité. Les sociétés cotonnières ont aussi leur part. Sur le plan agricole, pendant la période pré-zonage, la course au volume s’est traduite par du laxisme dans le contrôle de la qualité du coton-graine et les mauvaises habitudes ont tendance à perdurer. Le classement à l’usine a négligé le contrôle du tri du coton-graine en amont.

Sur le plan agricole, pendant la période pré-zonage, la course au volume s’est traduite par du laxisme dans le contrôle de la qualité du coton-graine

Il faut aussi ajouter que sur le plan industriel, les sociétés cotonnières doivent s’adapter aux effets du changement climatique caractérisés ces dernières campagnes par notamment des pluies presque toute l’année. Or, en principe, l’égrenage du coton-graine se déroule en période sèche. Les campagnes d’égrenage doivent donc être raccourcies, idéalement 120 jours, et le coton-grain séché si cela est nécessaire.

Le changement climatique est un facteur exogène, d’autres existent-ils ?

Le changement climatique, qui affecte  la productivité et la qualité du coton, se manifeste par l’installation erratique des pluies avec des phases de sécheresse en milieu de cycle et des pluies excessives de plus en plus fréquentes, ainsi qu’une réduction de la durée de la saison sèche. Le caractère erratique et imprévisible des pluies complique l’exécution des bonnes pratiques agricoles conformément au calendrier de l’itinéraire technique recommandé. La date optimale (fin mai à la mi-Juin) est aujourd’hui remise en question car il y a souvent un “trou pluviométrique” à cette période. Il y a 40 ans, la saison des pluies durait 5 mois, ce qui coïncidait avec le cycle du cotonnier. Elle était aussi suivie d’une saison presque totalement sèche avec un harmattan franc favorisant l’ouverture des capsules.

Le caractère erratique et imprévisible des pluies complique l’exécution des bonnes pratiques agricoles

Le changement climatique nuit  aux phases de croissance du cotonnier, fait évoluer les complexes parasitaires et affecte la qualité du coton puisque l’humidité ambiante et la teneur en eau du coton jouent sur la couleur et le grade de la fibre.

Un autre facteur exogène est la recherche. Les variétés cotonnières actuellement diffusées (Sicama et Gouassou) ont des effets négatifs notamment sur la longueur de la fibre par rapport à la variété Y 331. Les nouvelles variétés en cours de développement (CI-123 et CI-128) paraissent toutefois très prometteuses. La recherche doit aussi se pencher sur l’adaptation des variétés et du calendrier cultural à la nouvelle donne climatique.

Sur quels leviers agir en priorité ? La recherche variétale, le conseil agricole, la technique culturale, la récolte, le stockage, la commercialisation, l’égrenage, le classement fibre ?

C’est un ensemble, il faut donc agir sur toute la chaine de valeur simultanément pour impacter et aboutir à un résultat durable d’un coton de qualité pour redorer l’image du coton ivoirien et par ricochet combler le manque à gagner.

En définitive, même si les causes de la dégradation de la qualité du coton ivoirien sont multifactorielles, et que la pluralité des facteurs produit un « effet cocktail », il est évident que le facteur principal réside dans le manque de rigueur de la récolte du coton-graine. Ce diagnostic fait l’objet d’un consensus entre tous les acteurs de la filière. Les spécificités des variétés vulgarisées ont une moindre influence sur la qualité du coton que la capacité des producteurs à appliquer les itinéraires techniques recommandés.

Sans récolte fractionnée ni tri du coton-graine puis stockage et transport protégés et égrenage de lots homogènes, la filière cotonnière ne pourra satisfaire les exigences d’homogénéité des balles des filateurs et mieux valoriser sa production

L’amélioration de la récolte du coton-graine est donc cruciale pour redresser la qualité et redorer l’image du coton ivoirien sur le marché international. Les bonnes pratiques de récolte, de transport et de stockage sont connues de longue date. Sans récolte fractionnée ni tri du coton-graine puis stockage et transport protégés et égrenage de lots homogènes, la filière cotonnière ne pourra satisfaire les exigences d’homogénéité des balles des filateurs et mieux valoriser sa production.

L’amélioration de la qualité passe aussi  par une meilleure gestion de l’humidité à tous les stades de la chaîne de valeur.

Quels enseignements l’Aprocot-Ci tire-t-elle de l’étude du cabinet Gérald Estur qu’elle a mandaté ?

Cette étude vient renforcer la position de l’Aprocot-Ci sur le fait que du travail reste à faire à tous les niveaux de la chaîne de valeur. Néanmoins cette action nécessite des moyens de mise en œuvre et un soutien de la tutelle pour appuyer les acteurs de la filière vers un coton ivoirien labellisé.

Il est pour cela impératif de revenir au principe fondamental selon lequel le coton-graine non trié ou humide n’est pas marchand, comme c’est le cas pour les autres productions commercialisées

L’amélioration de la qualité et de l’homogénéité de la production est vitale pour l’avenir de la filière coton ivoirienne car les filatures ont des exigences accrues en matière de contrôle de qualité et d’exactitude dans la mesure des propriétés de la fibre. Par défaut de tri du coton-graine, l’hétérogénéité intra-balles est plus forte en Côte d’Ivoire que dans les autres pays de la sous-région. Il est pour cela impératif de revenir au principe fondamental selon lequel le coton-graine non trié ou humide n’est pas marchand, comme c’est le cas pour les autres productions commercialisées (l’anacarde, le cacao et le café).

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