La géopolitique rebat les cartes du commerce mondial du blé

 La géopolitique rebat les cartes du commerce mondial du blé
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Le ministère français de l’Europe et des affaires étrangères et le Club Demeter ont organisé vendredi dernier à Paris une conférence sur Une nouvelle géopolitique alimentaire mondiale ; Quelle place pour la France et l’Europe ? Dans un monde de fortes tensions politiques et économiques  où la faim progresse et touche aujourd’hui plus de 830 millions de personnes, le Forum a fait un état des lieux des tensions géoéconomiques et agricoles mondiales et présenté des solutions à la fois  sur le  court terme et le long terme face à cette crise humanitaire et alimentaire. Nous reviendrons sur ces deux derniers volets dans un prochain article, nous nous concentrons aujourd’hui sur la géopolitique et son impact sur le commerce du blé dont les modalités de fonctionnement changent en profondeur.

« Cette situation est inédite par son ampleur. Elle l’est aussi par sa nature. Car ce que nous avons vu ces derniers mois, c’est que la Russie a mobilisé ses positions fortes sur le marché des céréales, comme une arme dans le conflit. Comme une arme aussi et un argument politique sur la scène internationale, pour affaiblir le camp de la paix, le nôtre. Et pour expliquer que les sanctions seraient la cause de tout. Le temps du doux commerce est en quelque sorte derrière nous. Il y a bien une géopolitique de l’alimentation qui est à l’œuvre et qui fait partie des instruments d’une guerre hybride menée par la Russie » a déclaré le président Emmanuel Macron en visio à l’ouverture du colloque. .

Depuis la mise en place des corridors pour sortir les céréales d’Ukraine, consécutive aux initiatives Farm et du secrétaire général des Nations unies, le volume d’’exportation des céréales ukrainiennes est revenu en grande partie à son niveau d’avant le déclenchement de l’invasion. Mais si la logistique s’adapte, elle ne le fait pas à n’importe quel prix ! En Mer Noire, les grands bateaux Panamax d’une capacité  de 60 000 tonnes sont remplacés par des bateaux d’une capacité moindre, de l’ordre de 25 000 tonnes, générant plus de rotation. Si on privilégie la solution camion chemin de fer, la capacité d’un camion n’est que de 30 tonnes. Et puis l’accord fait l’objet de négociations pour son renouvellement le mois prochain.

Au delà de la fin « du temps du doux commerce » « on s’achemine plus fondamentalement vers une plus grande volatilité et instabilité des marchés des céréales, une moindre transparence, de nouvelles formes du commerce et la constitution de deux mondes en parallèle pour l’approvisionnement en grains. Une vision partagée tant par Arnaud Petit, directeur général du Conseil international des céréales que par Raphaël Latz, responsable des pays de distribution européens pourLouis Dreyfus Company (LDC).

« Aujourd’hui, avec cette géopolitique du blé, on voit de plus en plus dans les céréales des accords de gouvernement à gouvernement. Ils apportent de l’instabilité  car, d’une part, les décisions peuvent changer rapidement et, d’autre part, cela diminue la transparence des marchés. On ne sait pas quelles sont les conditions de ces accords tant en terme de volume que de prix.  La Russie est  le premier opérateur sur le marché mondial du blé,  mais elle ne communique plus ses données commerciales, voire sur sa production.» souligne Arnaud Petit.  

Le Gazprom du grain

Une autre dimension présentée par Raphaël Latz, est le changement des acteurs dans le commerce du blé. La Russie continue ses exportations de blé -ce sont entre 40 et 45  millions de tonne par campagne – mais elles échappent aux grandes sociétés de négoce, les ABCD (ADM, Bunge, Cargill et LDC), qui ont drastiquement diminué leur activité  avec la Russie suite aux sanctions prises contre Moscou. Si elles ne s’appliquent pas directement sur les denrées agricoles et les engrais,  les sanctions impactent les sociétés via le système financier, les assurances,  la disponibilité de bateaux, et les privent donc d’une origine de blé. Rappelons que la mer Noire était la partie du monde qui produisait le blé le moins cher du monde. Ce commerce est donc aujourd’hui récupéré par des sociétés russes.

Raphaël Latz souligne que 85% de la population mondiale n’applique pas de sanctions contre la Russie et que 36 pays dépendent de la Russie et de l’Ukraine à plus de 50%.  Précisant que le blé russe a été exporté notamment vers l’Iran, la Turquie et l’Egypte. La  Turquie,  qui a condamné l’invasion de l’Ukraine par la Russie mais n’applique pas les sanctions, utilise beaucoup de blé russe et un peu d’Ukraine pour alimenter ses minoteries et fabriquer de la farine qu’elle exporte au Moyen-Orient.

« Il y a vraiment deux mondes  qui sont en train de se créer et de vivre en parallèle sur ces approvisionnements en grain. D’un côté, un marché  des accords de gouvernement à gouvernement organisés par les Russes  et de l’autre un marché « occidental »  coupé  d’une origine » affirme Raphaël Latz. Mais, manquer d’une origine offre également de nouvelles opportunités qui seront, à moyen-terme,  l’Inde, l’Eurasie et le Brésil, souligne Arnaud Petit.

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