Fatoumata BA de Janngo : “La symétrie en logistique, une beauté presque mathématique”

 Fatoumata BA de Janngo : “La symétrie en logistique, une beauté presque mathématique”
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Pour Fatoumata Bâ, fondatrice et présidente de Janngo en Côte d’Ivoire, la logistique est l’élément clé pour parvenir à réduire le gaspillage alimentaire partout dans le monde et, a fortiori, en Afrique. La logistique permet de débloquer la problématique majeure qu’est l’accès au marché. Présente au Forum Afrique 2019 qui s’est tenue à Paris le 8 février dernier, organisé par le Moci et le Conseil des investisseurs en Afrique (Cian), elle explique à CommodAfrica en quoi c’est important et aujourd’hui simple d’accès.

Diplômée de l’école de commerce de Toulouse, Fatoumata Bâ a travaillé chez Orange, Atos et Jumia, et a créé l’année dernière Janngo, une start-up intervenant comme plateforme d’import-export clé-en-main pour les PME ivoiriennes. Pour ce faire, elle a fait une levée de fonds d’amorçage d’un million d’euros auprès de la famille Mulliez, propriétaire d’Auchan, la banque d’affaires Clipperton et Soeximex spécialisé dans l’automobile et le négoce alimentaire en Afrique de l’Ouest.

Lors du Forum Afrique 2019 CIAN-MOCI à la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, vous avez rappelé que 250 kg de nourriture par an et par personne étaient gaspillés en Europe plutôt en aval et en Afrique en amont. Selon vous, la logistique joue un très grand rôle pour réduire ce gaspillage. Pouvez-vous nous préciser comment ?

Aujourd’hui, ce que nous pouvons faire très concrètement est de mettre en relation des personnes qui souhaitent expédier une marchandise, quelque soit le mode de transport -aérien, maritime, routier ou par voie ferroviaire, avec des acteurs de la chaîne logistique qu’ils soient transitaires, transporteurs, commissionnaires agrées en douanes. Cela peut se faire par une plateforme digitale qui permet de réduire le nombre d’intermédiaires et d’expédier à chaque moment. Car il faut savoir qu’avec la saisonnalité forte de pays comme la Côte d’Ivoire notamment sur le cacao, lorsqu’on est en pic de production, cela n’intéresse personne de transporter de l’hévéa qui est un peu plus salissant et qui rapporte un peu moins d’argent. Donc apporter la capacité logistique est la première chose.

Deuxièmement, les places de marché et les plateformes en général sont des moyens incroyables d’avoir une symétrie entre une offre et une demande. Avoir cette symétrie en logistique, cela a une beauté presque mathématique car plus vous avez de volumes, plus vous faites baisser les coûts unitaires. Vous pouvez répercuter cela en compétitivité pour votre expéditeur et, bien entendu, aussi en marge pour le logisticien.

Dans un troisième temps, la technologie va toujours avoir des éléments de productivité améliorée, de traçabilité, d’éléments de gestion de la conformité accélérée. On a énormément de PME qui viennent nous dire : “On ne sait pas quelle est la documentation nécessaire sur cette catégorie et cette destination “. Avec une plateforme en ligne, ce sont autant de sujets traités très facilement car nous avons un blog et sur chaque catégorie de demande d’expédition, on a notre documentation en ligne. On accompagne de bout en bout avec un service client, le paiement et surtout la relation directe de tiers de confiance entre le transporteur et l’expéditeur. Cela permet de débloquer cette problématique majeure d’accès au marché qui est un frein incroyable à la compétitivité des PME.

La deuxième chose est que ça permet, à terme, de faire baisser les coûts logistiques en apportant des symétries dans les corridors. Par exemple, sur un corridor entre la Côte d’Ivoire et le Mali, un sens est un sixième du volume de l’autre sens. Mais uniquement par manque d’agrégation de volumes. Donc si vous faites le tour autant de la demande de particuliers et de professionnels, que de PME et de regroupement de PME, ils vont vous dire que cela les intéresse. Ils n’auront pas de gros volumes mais si vous additionnez les volumes, vous pouvez aboutir à une symétrie entre l’offre et la demande et par conséquent répercuter cette optimisation de la capacité logistique sur les prix. Et c’est vraiment un des éléments fondamentaux qui nous a motivés à lancer Jexport en Côte d’Ivoire.

Ce qui est facile en Afrique est que la technologie permet de répondre à un problème donné, en l’occurrence la demande de transport. Mais il ya des externalités positives qui sont considérables. En prenant l’exemple au Kenya de TrigaFruits, cela a démarré en se disant qu’il y a avait des fermiers kényans de produits vivriers, de mangues, de bananes, etc. et il y a des opérateurs qui vont vendre dans les villes. Entre le fermier et le consommateur, il doit y avoir, en général, 6 ou 7 strates et un taux de pertes élevés, de l’ordre de 40 à 45%. En outre, le fermier est à la merci de l’intermédiaire en terme de prix. Comme tiers de confiance, ils ont réussi à faire trois choses que je trouve incroyable : augmenter le niveau de rémunération des fermiers, faire baisser de 10% les coûts au niveau des acheteurs qui les revendent au client final, faire baisser de 40 à 45% le taux de pertes alimentaires car il ya une accélération de l’intégration dans le circuit de distribution.

C’est une première chose rendue possible par la tech. Mais derrière, ils se sont rendus compte qu’ils arrivaient à faire financer des fermiers kényans qui n’avaient pas accès auparavant à des financements car comme ils transactent avec eux depuis quelque mois, voire quelques années, ils peuvent se porter garants de leur solvabilité et de leur performances commerciales. Et ca, c’est très important dans un contexte où les PME africaines sont souvent informelles donc elles n’ont pas toujours un numéro de déclaration de TVA, etc. D’autre part, il y a une aversion très très forte des banquiers à financer les PME et, a fortiori, le secteur informel. En l’occurrence, la tech liée à la supply chain peut débloquer des problématiques d’accès aux financements par le crédit.

C’est une thèse qui est centrale pour moi et qui est le fil conducteur avec Janngo et Jexport. Elle vient de l’expérience que j’ai eu en tant qu’e-commerçante. Quand j’ai lancé Janngo en Côte d’Ivoire, j’ai voulu intégrer une chaine de valeur locale de mode et je me suis rendue compte que si je voulais avoir des designers locaux, il fallait un peu financer leur besoin en fonds de roulement. Donc j’ai commencé à faire des financements ad’hoc sur de petits volumes et c’est devenu un business à part entière : une plateforme et un tiers de confiance qui peuvent mettre en relation le bailleur de fond avec la PME qui a besoin de crédit.

Ce sont des cas d’application très concrets sur des problématiques aussi fondamentales que la logistique qui, dans n’importe quel pays du monde, représente entre 8 et 20% de PIB. c’est très enthousiasmant et c’est vraiment notre direction phare.

Vous travaillez avec des producteurs individuels, des coopératives?

Absolument, il ne faut pas avoir une vision sectaire. Il faut augmenter les volumes et pour cela il faut pouvoir adresser les besoins d’abord des professionnels que sont les PME africaines à l’export. Mais pour pouvoir agréger le maximum de volume sur des corridors particuliers, on se tourne aussi vers des clients individuels et non professionnels. De la même manière, si les industriels veulent aussi utiliser cette capacité logistique, cela peut être intéressant pour eux. Car le coût de logistique par rapport au cout de marchandise, si vous regardez sur Dangote, cela peut aller jusqu’à 30%. Et c’est lui qui a la plus grosse flotte de camions d’Afrique avec 25 000 camions…

C’est pourquoi il ne faut pas être sectaire dans l’approche de clientèle et pouvoir agréger des volumes de tous types d’expéditeurs pour pouvoir justement répercuter les économies d’échelle auprès de ceux qui en ont le plus besoin, en l’occurrence les PME africaines.

Je suis, par exemple, producteur de mangue en Côte d’Ivoire et je suis en pleine saison de production et j’ai 500 kilo à écouler, que dois-je faire ?

Vous allez sur www.jexport.ci où vous avez une interface qui vous permet de choisir votre ville d’expédition, le quartier, la ville et le site de destination. Si vous avez déjà un contrat commercial avec des Incoterms, vous pouvez déjà le renseigner -la catégorie, la valeur de marchandise, la volumétrie. Puis, nous revenons vers vous avec une offre de transport adaptée et avec plusieurs offres de transport alternatives pour vous donner le choix en terme de prix. Donc, d’une part vous n’êtes plus bloqué en termes de choix de transport logistique -car vous en avez au moins un, deuxièmement, vous avez une garantie d’avoir toujours le meilleur prix pour ce service et, enfin, vous avez une capacité à tout gérer en ligne.

Aujourd’hui, le parcours client classique est de trouver déjà soi-même plusieurs intermédiaires , il faut trouver un broker qui va vous trouver un camionneur, qui va aller de l’intérieur au port, faire le dédouanement, le transport. Vous devrez appeler plusieurs fois pour savoir si et quand le produit est arrivé, etc. En définitive, il y a une perte de temps, de nombreux intermédiaires, et donc un coût de transport qui se cache dans la marge des intermédiaires et non dans le coût de transport lui-même. Il y a parfois des risques de perte de la matière car le délai est trop long ou parce qu’il n’y a pas de capacité logistique au bon prix.

En résultante, on perd, sur un continent comme l’Afrique, 250 kg de nourriture par personne et par an. Ce n’est donc pas possible. Déjà ici, en Europe, ce n’est pas possible ni normal, mais dans un continent émergent et avec une problématique d’autosuffisance alimentaire, c’est une hérésie.

Vous traitez combien de volumes en produits agricoles ?

On ne communique pas sur nos volumes car on a lancé Janngo en mai et à la fin de l’été, on était capable d’identifier les premières problématiques et déployer les premiers tests. En décembre, on a fait un lancement commercial de JExport. Ce qui est enthousiasmant, c’est que nous avons de grands noms tant du côté transporteur que transitaire et une multitude de PME. Nous avons signé un partenariat avec le ministre ivoirien du Commerce, de l’industrie et de la promotion des PME qui nous permet d’être la plateforme à l’export pour les PME ivoiriennes et de les former. Car il y a une problématique d’accès aux marchés, aux financements mais aussi de renforcement des capacités. Donc nous formons à l’export au ministère, à l’Agence Côte d’Ivoire PME, qui centralise la prise en charge des PME au ministère.

Faites-vous cela ailleurs qu’en Côte d’Ivoire ?

C’est très important pour nous de toujours nous déployer sur un marché qui a un contexte favorable et la Côte d’Ivoire est un leader mondial sur plusieurs filières agricoles, comme le cacao. Et il a une capacité d’industrialisation ou d’augmentation de volumes très intéressante sur d’autres filières comme le caoutchouc, le cajou, et j’espère demain le karité, le miel, etc.

Connaissez-vous une concurrence croissante ?

Sur des causes aussi importantes et aussi nobles, je vois la concurrence comme quelque chose d’utile. Car c’est plus de capacité à servir la PME africaine, à réduire le gaspillage alimentaire, plus de capacité à faire baisser les coûts.

Ceci dit, je vois très peu d’acteurs qui font de la logistique internationale ‘door to door’ de façon multi-modèles. Il y a des acteurs en Afrique de l’Est qui font du ‘trucking’, donc ils vont plutôt intervenir sur le transport routier, décharger des cargos jusqu’à la livraison dans l’hinterland. Mais on rencontre très peu d’acteurs comme nous. Mais j’espère que d’autres se lanceront.

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