Madagascar reprend en main sa filière vanille, ce qui inquiète des opérateurs

 Madagascar reprend en main sa filière vanille, ce qui inquiète des opérateurs
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La production mondiale de vanille naturelle atteint des niveaux records, attendue entre 3 250 et 3 840 tonnes (t) en 2022/23 (juillet/juin), selon des opérateurs de la filière interrogés par CommodAfrica . Ce record n’est pas une car les prix très élevés de la vanille ces quatre à cinq dernières années ont incité les producteurs à planter à tour de bras. Des plantations qui ont commencé à donner et leur progression évoluera au fur et à mesure que les nouveaux plants entreront en production au cours des cinq à six prochaines années. Sauf accident météorologique, l’offre devrait donc croître alors qu’elle est d’ores et déjà supérieure à la demande.

Une demande qui a repris avec la fin des mesures de confinement liées à la Covid et ne devrait pas être trop impactée par la crise économique. Elle serait relativement stable, les industriels ayant déjà changé leurs formulations et ne devant pas en rechanger. Cependant, il est difficile de l’estimer car on ne connait que les chiffres du commerce mondial et ceux-ci ne reflètent pas la consommation car des stocks ont été constitués tant dans les pays producteurs que consommateurs.

Le prix fixe de $ 250 maintenu cette campagne

Deux raisons essentielles à ces stocks en aval. Tout d’abord, le prix de la vanille naturelle. Madagascar a instauré l’année dernière un prix fixe minimum, toutes qualités confondues, de $ 250 le kilo. Il est reconduit cette année. Or, si le prix de la vanille sur le marché mondial a démarré son ascention en 2014 pour culminer à $ 600 le kilo en 2019, actuellement, la vanille se vend entre $ 100 et les $ 250 de Madagascar. Ce prix malgache de $ 250, toutes qualités confondues, est considéré comme étant hors des réalités du marché. En réalité, peu d’opérateurs payent vraiment $ 250 à l’export hormis quelques entreprises comme McCormick, précise-t-on. Et certains de dénoncer le système : « La règle des $ 250 n’est pas pour tout le monde. La politique a été conçue pour qu’une poignée de personnes ne soit pas obligée de rapatrier sur la base des $ 250 et ne le font pas, alors que ceux qu’on veut éliminer doivent rapatrier sur la base de $ 250. C’est un système à deux vitesses destinées à tuer la concurrence et donner la main sur la filière à une poignée de personnes. »

En visite à Paris début juillet pour la conférence internationale de la vanille, trois jours avant l’ouverture officielle, le 7 juillet, de la campagne de la vanille verte dans la principale région de production de la Sava (elle ouvre deux mois plus tôt dans des zoens de production plsu mineures), le ministre malgache de l’Industrialisation, du commerce et de la consommation, également président du Conseil national de la vanille (CNV), a été très ferme : « L’agrément sera retiré aux exportateurs de vanille qui ne respecteront pas le minimum de $ 250. Le gouvernement envisagera également de leur imposer des sanctions pénales supplémentaires. »

Ces $ 250 minimum font le jeu des autres pays producteurs car ils maintiennent artificiellement élevés un prix considéré comme un prix de référence. En effet, Madagascar est leader mondial du marché de la vanille, sa production en 2021/22 étant de l’ordre de 2 700 t environ face aux 250 t de chacun des deux pays Indonésie et Papouasie Nouvelle Guinée, 200 t d’Ouganda et une quarantaine de tonnes des Comores, pour ne citer que les principaux pays producteurs. Avec toutes les nouvelles plantations ces trois à quatre dernières années, on devrait produire dorénavant à Madagascar entre 2 400 et 3 000 t pendant les 5 ou 6 années à venir, sauf incident météorologique.

Le Conseil national de la vanille officiellement lancé

Or, le gouvernement malgache reprend la main sur la filière. Le Conseil national de la vanille (CNV) -dont les lignes se dessinent depuis 2020 mais sans avoir été doté de ressources financières- a officiellement vu le jour le 17 juin 2022, s’appuyant sur le décret du 19 mai 2021. Douze corps d’Etat y sont représentés alors qu’auparavant la filière était gérée par deux ministres de tutelle, l’Agriculture et le Commerce. On ignore encore, quelle sera la place et le rôle de chaque ministère. Y siègent aussi les planteurs, les collecteurs/préparateurs ainsi que les commerçants et exportateurs. A la tête du collège des exportateurs, Maminiaina Ravatomanga, patron de la société de BTP Sodiat et proche conseiller du président Andry Rajoelina.

Une façon, souligne-t-on, de mettre de côté les deux structures existantes : le Syndicat des exportateurs de vanille de Madagascar (SEVAM) qui regroupe le plus grand nombre de membres et le Groupement des exportateurs de vanille de Madagascar (GEVM).

« Aujourd’hui, on dit qu’il va falloir être membre du CNV pour obtenir l’agrément d’exporter. Se pose donc aujourd’hui les questions suivantes : faut-il tous basculer sur le CNV ? Vont-ils tous nous accepter ? A quel prix ? La même question se pose toujours dans ce cas de figure : on veut un seul groupement avec tout le monde dedans mais quel est le ticket d’entrée ? Les deux groupements seront-ils dissous pour en créer un nouveau avec tout le monde et avoir un bureau qui représentera une dose de SEVAM, une dose de GEVM ou fait-on blocus en demandant que le SEVAM soit reconnu ? », se demande un opérateur.

Des opérateurs dénoncent une opération politicienne. « Le nouveau système a été monté pour une seule personne à Madagascar, en collaboration avec le Président. La stratégie est réelle. Le gouvernement voudrait mettre en place, comme pour les litchis (mais comme chacun sait, la filière litchi ne marche pas à Madagascar), un système de quota entre différents exportateurs avec un prix officiel. Ils vont regrouper les acheteurs internationaux une fois par an en France pour leur parler du prix officiel et des quotas pour chacun [comme ils viennent de le faire].ls vont instaurer une taxe. L’idée est de tuer sur le marché local toute concurrence et de donner les mains libres à une poignée d’exportateurs pour que ces personnes puissent avoir un quasi-monopole sur le marché. »

Parmi les projets annoncés celui d’instaurer une taxe de $ 4 par kilo de vanille exporté qui sera versée à la CNV, avec…. un effet rétroactif sur la campagne précédente, ce qui fait grincer des dents les opérateurs. 2 500 t exportées à $ 4 représentent $ 10 millions par campagne, sans grande visibilité sur la destination précise de ces fonds, souligne-t-on. Certes, il est question de créer un label vanille Madagascar, de mettre en place un contrôle qualité avant exportation, de « sensibiliser à la digitalisation avec la mise en place de la traçabilité sur le terrain entre l’Etat et le secteur privé. » Autant de programmes qui requièrent des fonds pour être mis en œuvre mais c’est $ 10 millions chaque année.

Le contrôle se resserre

Cette crainte de main mise sur la filière est renforcée par le fait qu’à ce jour, les autorités n’ont pas encore demandé aux exportateurs de constituer leur dossier pour renouveler leur agrément à l’export. En outre fin juillet, le CNV a lancé un appel à manifestation d’intérêt pour « identifier une liste d’« acheteurs internationaux vérifiés » s’étant soumis à la vérification de leur statut intrinsèque (l’entité elle-même – d’un point de vue corporate) mais aussi extrinsèque (intentions d’achat, formalisation sous forme d’un contrat d’achat auditable et engagement comportemental). »

Un resserrement de règlementation qui incite un certain nombre d’opérateurs internationaux de se tourner vers d’autres pays producteurs comme l’Ouganda. Certes, en termes de volumes, on est à des années lumière de Madagascar puisque l’Ouganda a ce jour ne produit qu’environ 200 t. La filière s’est structurée et les volumes devraient augmenter car les plantations se sont beaucoup développées, notamment dans le cadre d’un projet de l’USDA. En outre, actuellement, avec le prix sur le marché international maintenu artificiellement haut en raison de la politique de prix fixe malgache, les producteurs ougandais (comme ailleurs) sont incités à produire.

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