Béatrice Despioch d’Eco-charcoal : « Le simple acte de cuisiner tue aujourd’hui »

 Béatrice Despioch d’Eco-charcoal : « Le simple acte de cuisiner tue aujourd’hui »

@B.Chatel

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Béatrice Despioch, française et résidente permanente depuis 14 ans au Kenya, est directrice et consultante de l’entreprise Ungana Ltd ainsi que cofondatrice de l’entreprise Eco-charcoal Ltd. qui produit de façon durable des briquettes de charbon écologique à partir de l’élagage d’arbres et d’arbustes indigènes. Avec son mari, Ian Nyiro Pesa, elle conserve l’écosystème d’une forêt sèche d’une dizaine d’hectares dans la région sud-est du Kenya, entre les deux grands parcs nationaux de Tsavo identifié comme un « hotspot » pour la biodiversité, sur le corridor de migration des éléphants.

A l’occasion de la conférence scientifique internationale organisée par le Conseil interprofessionnel cacao et café (CICC) du Cameroun, qui s’est tenue à Yaoundé début juin sur le thème « Approche pratique d’adaptation de la culture du cacaoyer et du caféier aux changements climatiques », CommodAfrica a rencontrée et interviewé Béatrice Despioch.

 

Pouvez-vous nous expliquer votre procédé de production de ces briquettes écologiques au Kenya et quels objectifs pour poursuivez ?

Dans le cadre de notre entreprise sociale Eco-charcoal Ltd, nous avons créé au Kenya une unité de production durable de briquettes au sein de la forêt même où se trouvent de très nombreuses essences (beaucoup de grewia , des acacias, des baobabs, de nombreuses espèces d’épineux, bref, une végétation typique  des zones arides et semi-arides) et nous transformons sur place.

Le process est simple : nous élaguons les branches de certaines espèces d’arbres uniquement et nous savons exactement comment le faire de façon à régénérer rapidement les arbres qui ont été élagues. Nous gérons ainsi la forêt de façon rotative pour pouvoir récolter à nouveau des branches quelques mois plus tard. Ensuite, les branches sont séchées puis coupées en petites tailles -de buchettes que nous carbonisons avec des fours à pyrolyse. Les buchettes carbonisées sont ensuite écrasées en granules et mélanger avec un liant naturel qui est la fécule de manioc. Ensuite, on utilise une presse manuelle multi-pistons pour obtenir des briquettes de forme cylindrique qui, ensuite, sont séchées environ une bonne semaine avant d’être utilisées avec des foyers traditionnels ou améliorés, des fours à pizza, des barbecues, ou encore pour chauffer les espaces extérieurs (restaurants, safari camps), etc.

Sur quels marchés vendez-vous ? Le marché kényan, à l’export ?

On vend sur le marché du Kenya, essentiellement en zones urbaines. Je dis souvent que nous avons une solution rurale pour un problème urbain. Car c’est souvent en zones urbaines que les familles, les commerces, les hôtels et restaurants utilisent du charbon de bois.

Un des grands avantages de ces briquettes est qu’elles sont propres et très économiques. Lorsque vous brulez du charbon de bois, la température augmente très rapidement mais redescend rapidement ; on doit en ajouter constamment en restant face au foyer lorsque vous cuisinez. Vous recevez évidemment les émanations de monoxyde de carbone et autres fumées toxiques.

Le grand avantage d’utiliser des briquettes est qu’elles vont atteindre le même pic de température que le charbon mais ensuite vous allez avoir une cuisson constante. Vous n’avez pas besoin d’en ajouter, vous pouvez faire autre chose, et surtout elles ne produisent pas de fumée.

L’impact bénéfique est socio-économique car on créé de l’emploi dans une communauté rurale. Nous sommes entre les deux grands parcs de Tsavo, sur la route migratoire des éléphants. C’est aussi une zone où il y a beaucoup de production illégale de charbon de bois parce que, malheureusement, avec les sécheresses répétitives, les petits agriculteurs ont de plus en plus de mal à récolter suffisamment pour nourrir leur famille. Une façon très facile et simple de gagner sa vie est de couper des arbres et faire du charbon de bois, mais de façon inefficiente et non durable. L’idée consiste à la fois à recruter des ouvriers de la communauté locale, à réduire la pression sur les ressources naturelles forestières, à protéger l’habitat de la faune sauvage, la biodiversité et l’écosystème, sans oublier l’impact sanitaire.

Rappelons que 2,3 milliards de personnes continuent d’utiliser des combustibles et des technologies polluants pour cuisiner, principalement en Afrique subsaharienne et en Asie et qu’il y a encore 3,2 millions de personnes (estimations de l’OMS 2019) dans le monde qui, malheureusement, sont victimes du simple acte de cuisiner. Le simple acte de cuisiner tue aujourd’hui. Au Kenya, on dénombre 21 000 victimes par an et surtout des femmes et des enfants. Au Cameroun, c’est environ 16 000. L’Organisation mondiale de la santé a dressé la liste de toutes les maladies causées par ce qu’on appelle l’« indoor air pollution » qui créé des problèmes respiratoires, de cancer du poumon, d’asthme, de cataracte et même de peau, etc.

C’est votre combat dans le cadre de l’ONG LadyAgri ?

Effectivement, je suis consultante experte indépendante dans le cadre de LadyAgri pour la partie Kenya et dans le cadre des projets liés aux « solutions technologiques de cuissons propres ».

J’ai aussi un projet avec le Cirad actuellement dans le cadre d’un projet financé par l’Union européenne (UE). Le Cirad a lancé en septembre 2022, avec différents partenaires ougandais et internationaux, un projet dénommé « ROBUST » : il s’agit de la production du café Robusta en agroforesterie pour atténuer le changement climatique en Ouganda. Différents chercheurs travaillent sur les problématiques des sols, les maladies, l’épidémiologie, la génétique. J’interviens sur la partie socio-économique pour mettre en œuvre quatre unités de production durable de briquettes avec des coques de café en partenariat avec l’International Women’s Coffee Alliance de l’Ouganda. Jusqu’en 2025, plus de 50000 producteurs de café bénéficieront d’un suivi agronomique et socio-économique dans le cadre du projet
Le Conseil interprofessionnel cacao et café (CICC) au Cameroun souhaiterait lancer un projet similaire au Cameroun en utilisant le cortex du cacao. On travaillera avec des femmes productrices de cacao dans les Centres d’excellence de traitement post récolte.

Quelle est la finalité de ces projets ?

Notamment, que toutes les femmes qui cuisinent avec du bois de chauffage, produisent de façon durable des briquettes écologiques et puissent participer directement a la transition énergétique en phase avec l’atteinte du 7ième objectif des Objectifs de développement durable (ODD) : garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes, à un coût abordable. Si ces femmes parviennent à créer leurs propres combustibles, cela va aussi leur permettre de générer des revenus lors des saisons plus creuses.

Je dois également étudier la quantité de bois utilisée pendant la période où elles sèchent les fèves de cacao. Car l’idée de l’économie circulaire est que « le cacao sèche le cacao ». Beaucoup de déchets agricoles pourraient être recyclés, être réutilisés sous différentes formes, notamment comme combustible propre. C’est le principal objectif pour réduire la pression sur la déforestation et sur les besoins en combustibles dont l’usage du bois et charbon de bois est prédominant. Car dans tous les pays africains, la population augmente, ce qui signifie qu’il y a un besoin accru en terres, pour se nourrir, donc de cuisiner alors que nous devons réduire les problématiques de déforestation croissante pour lutter contre le changement climatique. Par conséquent, produire des briquettes constitue une source alternative de revenus pour les femmes.

Les machines pour fabriquer ces briquettes se trouvent où ?

Certaines machines sont importées (Chine, Inde), mais nous avons des ingénieurs et artisans experts dans les pays d’Afrique pour fabriquer des machines manuelles et automatisées.

 

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